Récitoire : contributions citoyennes qualitatives sur le vécu urbain

- septembre 2016


3e prix du concours Géovisualisation et cartographies dynamiques. Édition 2015

Contexte et objectifs

Amplifiée par l’arrivée de Google Maps en 2005, une cyber‐cartographie interactive s’est massivement développée dans laquelle les contributeurs qualifient eux‐mêmes les espaces qu’ils pratiquent et/ou perçoivent, donnant une forme contemporaine à la néo-géographie (Joliveau, 2010), et questionnant directement les pouvoirs publics, les professionnels du secteur et la communauté scientifique sur l’évolution des outils et le rôle des différents acteurs dans ce domaine. En particulier, l’évolution des technologies numériques et des pratiques en lien avec les données spatiales mène à de nouvelles applications susceptibles de révolutionner la manière de penser le projet urbain et territorial (Elwood, 2009 ; Goodchild, 2009 ; Mericskay, 2010). Il s’agit notamment de considérer la parole de l’usager du territoire – et de ses services – en faisant appel au citoyen capteur (citizen as sensor) au sens de Goodchild (2007).

Des travaux de chercheurs en sciences du territoire ont pointé l’importance d’une communication performante et continue entre tous les acteurs susceptibles de revendiquer un enjeu dans l’élaboration, la réalisation et la gestion de projets urbains et territoriaux (Chalas, 2004 ;  Zepf et Andres, 2009). Les défis de la planification participative territoriale dépassent ainsi les revendications d’une bonne pratique de « concertation » stipulée dans la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU, 2000), et amènent à dépasser la simple application de la réglementation du Code de l’Urbanisme (comme l’organisation d’une enquête publique et de réunions publiques).

Dans ce contexte, le collectif de recherche FabTer (Fabrique Numérique des Territoires)1 a initié des travaux sur de nouvelles méthodologies et solutions logicielles associées visant à favoriser l’implication du citoyen dans des processus de diagnostic et de construction du territoire. C’est dans ce but qu’est proposé Récitoire (Récits sur le Territoire) une solution logicielle qui inclut au sein d’une plate-forme client/serveur premièrement une application mobile de récolte de données qualitatives rendant compte du vécu d’un territoire par des citoyens, et deuxièmement, une application serveur centralisant ces données et permettant leur exploitation.

L’objectif est de restituer des ambiances urbaines grâce à la captation de récits citoyens multimédia géolocalisés collectés in situ et contribuer à leur analyse par des experts.

Présentation de l’application

Supposons que, préalablement à un aménagement envisagé, le gestionnaire d’un projet urbain veuille connaître le ressenti de la population quant au secteur concerné. Une enquête qualitative réalisée à l’aide de Récitoire Mobile peut être envisagée. L’outil permet la collecte de données (images, sons, vidéos et commentaires associés) géolocalisées, estampillées temporellement et organisées en un récit citoyen urbain qu’il est possible de rejouer spatialement et temporellement. Ces récits, centralisés et consultables via l’application Récitoire Serveur, peuvent être analysés, comparés, interprétés, voire scénarisés par un professionnel du territoire (urbaniste, paysagiste, services de la ville, etc.) en vue d’une restitution au commanditaire de l’enquête.

L’application mobile est utilisée dans le cadre d’un parcours réalisé par le citoyen contributeur qui doit autant que possible rendre compte, tout au long de son trajet et à l’aide de différents médias (sons, photos, vidéos, textes), de son ressenti en lien avec le thème retenu pour l’enquête. Les récits citoyens et les contributions qui les composent sont ensuite chargés dans une base de données sur laquelle repose l’application Récitoire Serveur. Celle-ci est destinée à la consultation et à l’analyse des données citoyennes produites, en permettant à un expert en aménagement urbain de rejouer les parcours effectués par les contributeurs.

La partie cliente de Récitoire utilise les technologies mobiles Android. La partie serveur repose sur les technologies du web et notamment PHP et MySQL. Celle-ci utilise également plusieurs bibliothèques JavaScript : OpenLayers pour l’affichage des cartes, D3.js pour les graphiques ou encore Hyperlapse.js pour les timelapses2 des parcours. L’application utilise les cartes fournies par le projet OpenStreetMap.

Une enquête avec Récitoire Mobile

Paramétrage de l’application pour l’enquête

Figure 1. L'interface de configuration de Récitoire.

Figure 1. L’interface de configuration de Récitoire.

L’application mobile doit être paramétrée par l’organisateur de l’enquête (figure 1) qui en spécifie ainsi les modalités : zone géographique visée, thème de l’enquête et caractéristiques des participants. Au thème de l’enquête sont associés des mots-clés (tags) qui pourront être utilisés par les contributeurs pour qualifier leurs prises de vues ou de sons. Ce paramétrage est effectué via une interface spécifique accessible dans Récitoire Serveur.

La collecte de récits

Figure 2. Exemple de story-databoard (animation).

Figure 2. Exemple de story-databoard (animation).

Les récits sont constitués de contributions géolocalisées le long du parcours et affichées sur le story-databoard (figure 2). Inspiré de la notion cinématographique de « story-board », celui-ci désigne les contributions (prises de vue de type photo ou vidéo, prises de son) et les commentaires affichés sur l’écran dans l’ordre chronologique de leur acquisition. L’idée est de visualiser ainsi l’ensemble du parcours effectué en conservant sa cohérence. Sous le story-databoard, la barre de déplacement s’allonge en fonction de la distance parcourue et les noms des différents lieux atteints au cours du parcours sont affichés. Les récits sont ensuite déchargés de l’appareil mobile pour être analysés par un expert à l’aide de Récitoire Serveur.

Analyse qualitative avec Récitoire Serveur

Trier les parcours par critères

L’application Récitoire serveur (figure 3) facilite l’analyse des récits multimédia en proposant à l’expert de revivre les parcours effectués dans la ville. La sélection d’un parcours peut se faire soit en sélectionnant la trace du parcours sur la carte représentant la zone géographique de l’enquête, soit en le sélectionnant dans la liste proposée. Cette liste offre un accès aux parcours triés selon différents critères relatifs aux contributeurs, en fonction des informations qu’ils auront données dans l’application mobile, ou relatifs aux parcours eux-mêmes. Dans ce cas, les critères de sélection peuvent être temporels (date, heure), spatiaux (zone particulière du secteur d’enquête, distance parcourue), thématiques (mots-clés) ou encore dépendants du type de média utilisé.

Figure 3. Récitoire serveur.

Figure 3. Récitoire serveur.

Rejouer le parcours du contributeur

Pour le parcours choisi, différents modes de visualisation sont proposés simultanément. Le story-databoard est mis en correspondance avec la visualisation cartographique du parcours qui montre à la fois le trajet et la localisation des contributions. Une contribution peut être sélectionnée sur le story-databoard et être ainsi mise en avant sur la carte, ou bien être sélectionnée directement sur la carte. De même, il est possible de connaître la vitesse d’un contributeur tout au long de son parcours. Les variations de la vitesse du contributeur peuvent ainsi donner des éléments permettant de mieux évaluer l’intérêt (ou l’absence d’intérêt) porté par un contributeur sur une zone de son parcours.

Enfin, afin de permettre à l’expert de mieux contextualiser le parcours et les contributions qui forment le récit, il est proposé de visualiser une timelapse du parcours réalisé avec des images de GoogleStreetView (si elles sont disponibles) à l’aide de la bibliothèque Hyperlapse.js.

Il revient ensuite à l’expert en aménagement urbain la tâche d’interprétation et de recoupements entre les différents parcours afin de construire une étude synthétisant les restitutions des contributeurs en termes de vécus urbains.

Conclusion

À travers Récitoire, nous proposons aux différents acteurs de la politique de la ville un outil de recueil et d’exploration de récits citoyens relatifs aux vécus urbains. L’accessibilité offerte à cette parole citoyenne et sa compréhension facilitée par l’outil peuvent contribuer à son intégration dans le processus de décision et, par suite, à des actions qui font sens sur le territoire.

Bibliographie

Chalas Y., dir. (2004). L’imaginaire aménageur en mutation. Cadres et référents nouveaux de la pensée et de l’action urbanistiques. Paris : L’Harmattan, 340 p. ISBN 2-7475-6218-2

Elwood S. (2008). « Geographic Information Science : new geovisualization technologies – emerging questions and linkages with GIScience research ». Progress in Human Geography, vol. 33, n°2, p. 256-263.

Goodchild M. F. (2007). « Citizens as sensors : the world of volunteered geography ». GeoJournal, vol. 69, n°4, p. 211-221.

Goodchild M. F. (2009). « NeoGeography and the nature of geographic expertise ». Journal of LocationBased Service, vol. 3, n°2, p. 82-96.

Joliveau T. (2010). « La géographie et la géomatique au crible de la néogéographie ». Tracés, n°10 Hors-série, p. 227-239.

Mericskay B., Roche S. (2010). « Cartographie numérique en ligne nouvelle génération : impacts de la néogéographie et de l’information géographique volontaire sur la gestion urbaine participative ». In Zreik K. (éd.). Nouvelles cartographies, nouvelles villes. Paris : Europia, 218 p. ISBN 978-2-909285-65-8

Zepf M., Andres L., dir. (2011). Les enjeux de la planification territoriale en Europe. Presses polytechniques et universitaires romandes, 309 p. ISBN 9782880749125

Retrouver les lauréats de l’édition 2015 du concours Géovisualisation et cartographie dynamique.

Notes   [ + ]

1. Au sein duquel collaborent l’équipe Steamer du Laboratoire d’Informatique de Grenoble, le laboratoire PACTE et le bureau d’études Détour.
2. Animation réalisée par l’affichage successif d’une série de photographies.

    Les auteur.es :

    David Noël

    Université Grenoble Alpes, LIG - Laboratoire d'Informatique de Grenoble

    Marlène Villanova-Oliver

    Université Grenoble Alpes, LIG - Laboratoire d'Informatique de Grenoble

    Jérôme Gensel

    Université Grenoble Alpes, LIG - Laboratoire d'Informatique de Grenoble

    Aziz Kali

    DéTour, Grenoble

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