Parallèlement à la publication d’un ouvrage intitulé « Cartes d’exception » chez GÉO (chroniqué précédemment pour M@ppemonde), les éditions Phaidon proposent en cette fin d’année 2015 un imposant recueil de cartes, où la part belle est faite aux images et à la qualité de restitution, sobrement intitulé « Cartes ». Sur plus de 350 pages les auteurs (« … membres d’un groupe consultatif international… », p. 3521) ont choisi de présenter par doubles-pages, en opposition, des cartes qui se répètent, se répondent, se complètent dans leurs thématiques, leurs lieux, leurs techniques, parfois à quelques années d’écart, parfois à quelques siècles, mais sans véritable fil conducteur chronologique, sémantique ou géographique. De fait, le lecteur pourra ouvrir l’ouvrage à n’importe quelle page (ou presque) : il sera confronté à deux cartes dont la mise en concordance lui paraitra quelquefois évidente… sur d’autres il devra s’appuyer sur les petits textes accompagnant les images pour tenter de comprendre la mise en relation proposée.
Dans une introduction succincte de John Hessler de la Bibliothèque du Congrès (p. 6 à 9), on apprend que les cartes ont été « …sélectionnées par un panel de conservateurs, d’universitaires et de collectionneurs… » ce qui ne nous renseigne que très partiellement sur l’objectif de cet ouvrage très « iconoclaste » !
Mais, alors que les cartes sont présentées deux à deux dans un catalogue non organisé sur plus de 300 feuilles, les dernières pages, quant à elles, sont remarquables de synthèse : un index, quelques références bibliographiques (sobrement intitulées « suggestions de lecture »), un petit glossaire, quelques lignes de biographie sur une cinquantaine de cartographes célèbres et surtout un tableau chronologique de la cartographie (p. 322 à 339) par grandes dates, de la préhistoire à 2012, qui aurait mérité une édition spécifique tant son montage est clair, concis et précis. Il n’y a véritablement que dans ces pages qu’apparait une cohérence évidente.
Une fois passé le plaisir de tourner les pages pour découvrir des cartes « oubliées » ou au contraire célébrissimes ; une fois interpellé, voir amusé par la mise en parallèle de cartes sur deux planches opposées ; une fois intéressé par les quelques lignes de commentaire sous les cartes, une question évidente se pose au lecteur : quel est l’objectif de cet ouvrage ?
Puisque apparemment il n’y a aucun classement chronologique ou thématique, ouvrons donc, au hasard ce recueil pour y chercher un quelconque un fil conducteur…
Pages 130 et 131 : à gauche la tablette d’argile gravée « le Plan de Nippur » datée de 1 500 ans avant J.-C., à droite la « Carte du Maine » en braille de 1837. Aucun rapport donc avec le lieu, la date, le support… Le point commun ? L’évocation du sens tactile, peut-être ?
Autre exemple : pages 110 et 111, à gauche l’image (ultra connue, déjà évoquée dans nos pages !) de la « carte du monde des amitiés Facebook », à droite l’image (magnifique !) de la « cartographie du cerveau ». Une mise en parallèle (pas très originale) et bien hasardeuse de deux représentations qui, à part le fait d’être numériques, n’ont pas grand-chose à voir entre elles. Les auteurs argumentent en parlant de « … Landsat de notre monde intérieur et de notre conscience… » à propos de l’imagerie cérébrale. On est loin, très loin, du minimum de rigueur qu’on attendait pour un tel ouvrage, sans parler de la notion même de « carte » ici. De ce point de vue, on retrouve dans cet ouvrage un certain nombre de représentations qui ne sont tout simplement pas des cartes : coupes du district de Bristol page 22, nombreux amalgames entre cartes et plans (p. 30, 31, 32 et suivantes), maquette de Venise (p. 37), dessins symboliques, schémas, vues 3D d’artistes, plans de métro et même jeu de cartes…
Dans l’introduction, John Hessler argumente : « …nous avons préféré associer des images complémentaires ou contrastées d’une manière qui non seulement souligne le caractère unique de chaque carte et de chaque cartographe2, mais met aussi en lumière leurs structures communes… » (p. 6). Le problème est qu’à aucun moment il ne donne de définition claire de ce qu’il appelle le « contraste », la « complémentarité » ou les « structures communes ». Si, dans l’introduction, il tente effectivement de relever quelques critères de mise en parallèle sous couvert de la technique, de la sémantique ou même du contexte géopolitique, au sein des textes liés aux représentations, chaque image est commentée indépendamment. L’origine, le contexte, l’auteur… sont évoqués mais en aucune manière le parallélisme n’est fait avec l’autre représentation.
Jusqu’à la définition même de la carte qui est à peine effleurée par l’auteur, voir dénigrée : « …les érudits ont gaspillé beaucoup d’encre à essayer d’en donner une définition… » (p. 6).
Au final, il semble bien que ce soit au lecteur, en quelque sorte, d’inventer « l’association cartographique » !
Pages 76 et 77, par exemple, sont présentés, à gauche, le « plan de la ville d’Imola » de Léonard de Vinci (1502), à droite, la « carte de Tenochtitlan » d’Hernan Cortés (1524). D’accord, les deux représentations sont contemporaines, mais qu’est ce qui relie réellement ces deux cartes à part leur aspect quasi circulaire ? Une vague coïncidence visuelle. Quelques 200 pages plus loin (p. 290 et 291) on retrouve pratiquement la même mise en parallèle : la carte du monde d’Al-Idrisi de 1154, celle de Martellus de 1489. Fond blanc, océan circulaire bleu, forme ronde générale… Certes, mais encore ? Rien sur le rapport entre la cartographie arabe du XIIe siècle et l’élan de la Renaissance occidentale dont fait partie la cartographie allemande en cette fin du XVe siècle. Rien sur le sens, le rapport à l’Histoire, l’évolution des techniques, la vision du monde…, non, juste une association purement et uniquement visuelle !
Autre exemple, pages 162 et 163 : la carte (mais c’est plutôt un graphique) des alizés de l’océan Atlantique de 1851 versus la carte des vents (qui, en fait est une capture de 6 écrans sur les États-Unis) de 2012. On pourrait s’attendre à une analyse un peu technique sur l’évolution des représentations météorologiques, et notamment sur l’arrivée de la cartographie dynamique ? Mais non, le sujet est à peine abordé, rendu presque anecdotique.
Parfois les auteurs choisissent simplement d’exposer une seule carte sur deux pages (Atlas catalan p. 14-15, carta marina p. 120-121, carte d’Omaha Beach p. 216-217, carte des étoiles p. 320-321…) mais les cartouches de texte n’ont pas varié (que de vide dans la mise en page !). Il n’y avait pas de représentation « comparable » sans doute ?
Bien évidemment, il arrive qu’on se prenne au jeu de la comparaison. Pages 134 et 135, la carte de l’Islande de 1590 d’Abraham Ortélius comparée à l’Islande illustrée du studio Borgarmynd de 2012 est une très belle idée3.
Pages 286 et 287, le parallèle entre l’atlas céleste de Dunhaung vers 700 et la carte des étoiles d’Apollo 11 en 1969 est assez extraordinaire ! De même que celui entre la carte de la méditerranée vers 1030 et celle des îles de la Société en 1769 (pages 220 et 221).
Dans ce livre, il y a donc, beaucoup, beaucoup de cartes. Plus de 300 ! Certaines sont très connues, d’autres beaucoup plus originales (la « carte d’Hispaniola » qui serait de la main même de Christophe Colomb p. 126 ?), mais une étrange impression se cristallise à parcourir cet ouvrage : le sentiment que les auteurs ont, dans un premier temps réuni énormément de représentations (plus ou moins) cartographiques existantes, puis, dans un deuxième temps, ont cherché à associer coûte que coûte les images entre elles d’après leur aspect, ne s’intéressant que peu aux éventuelles similitudes sémantiques, ou à la cohérence scientifique potentielle. Elles se ressemblent d’une manière ou d’une autre et principalement sur le plan visuel, alors associons-les !
Rappelons-nous ce jeu pour enfants qui consistait à associer deux à deux des images le plus vite possible pour les éliminer lorsque l’association était bonne…
Étrangement, (comme un clin d’œil peut-être ?) parmi les dernières représentations, on trouve, en parallèle un puzzle de l’Europe divisée en royaumes (p. 318) et un jeu de géographie de la Cour (p. 319).
En définitive, mieux vaut sans doute prendre ce livre « imposant » (et peut-être un peu trop cher !) pour ce qu’il est d’abord : anecdotique et amusant !
Référence de l’ouvrage :
Cartes. Explorer le monde. (2015). Collectif, sous la direction de John Hessler. Éditions PHAIDON, 352 pages. ISBN 978-0-7148-7082-3
Notes
1. | ⇧ | Étrangement, pour trouver le nom des auteurs des textes, il faut se reporter à la dernière page de l’ouvrage dans une petite rubrique « remerciements de l’éditeur ». |
2. | ⇧ | C’est quelque peu outrancier de parler de « cartographes » dans le cas de bon nombre d’auteurs de cet ouvrage ! Que dire du « gribouillis » de Jack Kerouac p. 273 ! |
3. | ⇧ | Je ne serai cependant pas étonné que la carte du studio Borgarmynd ne soit qu’un clin d’œil, un hommage à la carte d’Ortélius ! |