Intensification de l’élevage et reforestation ? Les modèles spatiaux des exploitations d’élevage du programme de reconnaissance des bénéfices environnementaux au Costa Rica

- juillet 2018


Résumé

L’intensification de l’élevage est un modèle de développement théorique pour réduire la pression sur les espaces boisés. Nous analysons l’application d’un programme du ministère de l’agriculture du Costa Rica dans la région Chorotega visant à encourager l’adoption de pratiques agro-environnementales (intensification « écologique » de l’élevage). À partir d’enquêtes auprès de 75 bénéficiaires, nous mettons en évidence l’existence de quatre principales structures spatiales élémentaires (quatre chorèmes) qui peuvent être combinées pour représenter les organisations et dynamiques spatiales des territoires d’exploitations agricoles. Une analyse statistique descriptive de la base de données des unités d’utilisation des exploitations enquêtées montre une dynamique principale : l’augmentation des pâturages améliorés, mais celle-ci ne se traduit pas par une régénération forestière, infirmant le modèle théorique de land sparing.

Abstract

The intensification of husbandry and reforestation ? The spatial models of cattle ranches from the program to recognize the environmental benefits in Costa Rica

The theoretical development model of intensifying livestock production contributes to reducing pressure on forests. This article focuses on the implementation of a program by Costa Rica’s Ministry of Agriculture in the Chorotega region to encourage the adoption of agro-environmental practices (“green” livestock intensification). Using surveys of 75 beneficiaries, we reveal the existence of four main elementary spatial structures (four choremes) which can be combined to represent the spatial organizations and dynamics of farmlands. A descriptive statistical analysis of the database of the usage units of the farms we surveyed shows one main dynamic : the increase in improved pasture does not regenerate the forest, thus disconfirming the theoretical model of land sparing.

Keywords : agro-environment, choremes, husbandry, farmlands

Resumen

¿Ganadería intensiva y reforestación? Modelos espaciales de explotación ganadera del Programa de reconocimiento de beneficios ambientales en Costa Rica

La ganadería intensiva es un modelo de desarrollo teórico que ha de reducir la presión sobre los espacios forestales. Analizando la aplicación del programa de reconocimiento de beneficios ambientales en Costa Rica para la región Chorotega se valoran su prácticas agroambientales (que incentiva una ganadería intensiva “ecológica”). A partir de 75 encuestas de beneficiarios se evidencia la existencia de cuatro estructuras espaciales elementales (o “coremas”) que combinadas representan las estructuras, organización y dinámicas espaciales de esas explotaciones. Un análisis estadístico descriptivo de la información de estas unidades productivas encuestadas invalidan el modelo teórico porque la intensificación y mejora de los pastos no supone una regeneración forestal.

Palabras clave: agroambiente, coremas, ganadería, explotaciones agrícolas


Introduction

La déforestation constitue un enjeu global, notamment dans les pays tropicaux (Achard et al., 2002). L’élevage est souvent considéré comme un facteur affectant la déforestation (Geist et Lambin, 2002). Afin de réduire la pression de l’élevage sur la forêt, l’intensification de l’élevage est parfois considérée comme une solution. Nous nous interrogeons sur le bien-fondé de ce modèle à partir d’une analyse territorialisée en mobilisant l’analyse spatiale et la modélisation graphique. Le Costa Rica a connu une très forte déforestation dans les années 1970-1980 (Jones, 2002 ; Calvo-Alvarado et al., 2009). Au cours des 20 dernières années, une remarquable inversion du processus de déforestation est observée, particulièrement marquée dans la province du Guanacaste (qui correspond à la région Chorotega) (Jones, 2002).

Toutefois la nature réelle de la reforestation et du type de forêt reste en débat. En outre, le rôle des mesures agro-environnementales dans les processus à l’œuvre n’a pas été exploré. Or, au-delà du très connu et analysé PSA (Pagos por Servicios Ambientales) mis en œuvre par le ministère de l’Environnement (Arroyo-Mora, 2005 ; Sanchez-Azofeifa et al., 2007 ; Pagiola, 2008), le Costa Rica a mis en place un programme de reconnaissance pour bénéfices environnementaux (Reconocimiento de Beneficios Ambientales, RBA) depuis 2007 (MAG Costa Rica, 2011 ; Durey, 2012) via le ministère de l’Agriculture et de l’élevage du Costa Rica1, afin de soutenir les investissements des producteurs vers l’adoption de technologies qui permettent une augmentation de la productivité tout en étant favorables à l’environnement.

Des expériences sur les Paiements pour Services Environnementaux existent dans de nombreux pays, essentiellement dans le domaine forestier. Les Mesures Agri-Environnementales sont mises en œuvre depuis plus de 20 ans en Europe, mais elles restent dans une logique de rémunération d’un changement de pratique et non de rémunération d’un service. Une volonté politique pour aller en ce sens en France et en Europe s’affirme. Dans ce cadre, le programme RBA du Costa Rica est novateur dans son objectif de rémunération pour des bénéfices environnementaux.

Nous nous intéressons à l’application de ce programme dans le secteur de l’élevage dans le nord du Costa Rica (Chorotega), marqué par des enjeux environnementaux relatifs à la reforestation et à la préservation de la ressource en eau, à la fois en quantité et en qualité. À partir de l’analyse de l’application de ce programme et des dynamiques d’utilisation du sol dans les exploitations agricoles, nous discutons un modèle de développement qui viserait une intensification de l’élevage afin de réduire la pression sur l’espace boisé. L’élevage intensif (élevage avec pâturage amélioré et intrants en alimentation) utilise moins d’espace que l’élevage extensif et pourrait ainsi libérer de l’espace pour de la régénération forestière2 .

Après avoir présenté le contexte local, nous identifions les principaux traits de l’organisation et des dynamiques spatiales des territoires d’exploitation et nous les représentons à l’aide de la modélisation graphique. Une modélisation graphique du modèle de développement visant à intensifier l’élevage afin de libérer de l’espace pour la régénération forestière est proposée. Les résultats d’enquêtes conduites dans les exploitations agricoles bénéficiaires du programme sont exposés. Ils montrent une dynamique spatiale principale : la division de pâturages naturels en pâturages améliorés, sans régénération forestière ni déforestation.

Contexte de l’étude de cas

Situation de la région d’étude

L’étude a été conduite dans cinq cantons de la région Chorotega (La Cruz, Liberia, Carillo, Bagaces, Cañas), voir figure 1.

Figure 1. Localisation de la zone d’étude.

Figure 1. Localisation de la zone d’étude.

Après une période de déforestation jusqu’aux années 1980, la région Chorotega connait une phase de reforestation (figure 2).

Figure 2. Évolution de la couverture forestière dans la région Chorotega au Costa Rica entre 1960 et 2005 (les surfaces en noir correspondent aux zones forestières). Source : d'après Calvo-Alvarado et al., 2009.

Figure 2. Évolution de la couverture forestière dans la région Chorotega au Costa Rica entre 1960 et 2005 (les surfaces en noir correspondent aux zones forestières). Source : Calvo-Alvarado et al., 2009.

Figure 2. Évolution de la couverture forestière dans la région Chorotega au Costa Rica entre 1960 et 2005 (les surfaces en noir correspondent aux zones forestières). Source : d'après Calvo-Alvarado et al., 2009.

Quelles dynamiques spatiales pour l’élevage dans le contexte de reforestation dans la région Chorotega ?

Dans la région Chorotega, la couverture forestière a chuté de 37,8% en 1960 à 23,6% en 1979. Elle est ensuite restée stable entre 1979 et 1986 puis a augmenté de 23,6% à 47% de 1986 à 2005 (Calvo-Alvarado et al., 2009). Entre 1960 et 1980, la baisse de la couverture forestière est liée aux pratiques d’élevage. Une extension des forêts secondaires est ensuite observée entre 1980 et 2000 (Arroyo-Mora et al., 2005). Cette récupération a été expliquée par de multiples facteurs tels que la réduction de l’élevage, la mise en place de politiques de conservation (aires protégées) et d’outils tels que le programme de paiement pour services environnementaux (PSA) (Calvo-Alvarado et al., 2009). D’après Calvo-Alvarado (2009), la principale cause de déforestation dans la région Chorotega est le développement de l’élevage bovin lié aux exportations vers les États-Unis (Hamburger Connection). Le nombre de têtes de bétail a plus que doublé entre 1950 et 1972, date à laquelle il atteint son maximum. À partir du milieu des années 1980, le gouvernement du Costa Rica a retiré son soutien à l’élevage. Par ailleurs, les prix de la viande ont chuté. Cette chute a plusieurs causes : l’Union européenne qui était importatrice de viande de bœuf est devenue exportatrice ; l’augmentation de la consommation de viande bœuf s’est ralentie aux États-Unis en raison de l’augmentation de la consommation d’autres viandes (volaille), d’une prise de conscience des effets d’une consommation excessive sur la santé et de la stagnation des revenus des américains (Kaimowitz, 1996, cité par Calvo-Alvarado et al., 2009). En conséquence, au milieu des années 1990, le nombre de têtes de bétail avait chuté et avait retrouvé son niveau des années 1960, ce qui est une des causes de la régénération forestière observée.

Le caractère extensif des élevages actuels a des racines historiques dans les pratiques de slash and burn (brulis) mises en place pour l’appropriation des terres avant les années 1970. Lors de cette période qualifiée par Brockettet Gottfried (2002) de « laissez-faire » du régime forestier, les occupants de terres peuvent acquérir le foncier après dix ans d’occupation. Cette pratique a été institutionnalisée au Costa Rica par une loi en 1941 qui permet la possession d’un maximum de 300 ha de terres si l’occupant a déboisé au moins la moitié de la surface et maintenu un troupeau d’au moins une vache pour 5 ha (Segura et al., 1996, p. 17, cité par Brockettet Gottfried, 2002). La loi forestière de 1969 a ensuite interdit cette colonisation et une période « interventionniste » en matière de régime forestier a suivi dans les années 1970 et 1980 avec la mise en place de parcs et réserves et de politiques de régulation. Dans la région de Chorotega, les pratiques extensives demeurent dominantes. Elles se caractérisent par une utilisation d’une grande surface de pâturage, très peu de rotation et l’occupation permanente des enclos. Les six mois de sécheresse caractéristiques du climat de la région constituent le principal facteur limitant de l’élevage extensif. Les difficultés pour assurer l’alimentation du troupeau durant cette période critique induisent des pertes économiques et affectent le bien-être animal du fait de la diminution du poids des animaux, le haut niveau de mortalité et les faibles indices de gestation. Cet élevage extensif occupe une part élevée des ressources en terre disponibles : 81% des surfaces agricoles et pastorales sont en prairies permanentes (Departamento de Planificación del MAG, Región Chorotega, 2007, cité par MAG, 2007). Ceci est significatif d’un point de vue environnemental et appelle une évolution des systèmes de production afin d’éviter la détérioration des sols : érosion et compaction, conséquences du surpâturage, réduisent la capacité de filtration de l’eau et la fertilité et la productivité des fermes (MAG, 2007).

Le ministère de l’Agriculture et de l’élevage du Costa Rica a mis en place le programme RBA depuis 2007 (MAG Costa Rica, 2011, Durey, 2012, entretien avec le responsable du service « développement durable » du Ministère). Il vise à reconnaitre les bénéfices environnementaux fournis par les agriculteurs. Le dispositif met en place un soutien aux investissements des producteurs vers l’adoption de technologies qui permettent une augmentation de la productivité tout en étant favorables à l’environnement. Pour le secteur de l’élevage, un soutien financier est apporté à quatre principaux types d’investissements mis en œuvre au niveau des exploitations : la plantation de haies vives, l’installation de pâturages améliorés3, la construction d’abris pour le stockage du fourrage et la protection des sources en eau. Le programme s’adresse aux petits et moyens producteurs. Les grandes haciendas ne sont pas concernées. Il s’agit d’un choix politique fort dans une partie du Costa Rica caractérisée par la persistance des latifundios héritée de l’histoire et associée à une concentration du pouvoir économique et politique (Edelman, 1985). En terme d’usage de l’espace, l’objectif du programme RBA est de libérer de l’espace pour la protection et la conservation des ressources naturelles : « introduire des systèmes productifs qui utilisent de manière plus efficiente la ressource en sol et libèrent en conséquence des excédents de terre qui peuvent être dédiés à la protection et à la conservation des ressources naturelles » (MAG, 2010, p. 1)4. Le secteur de l’élevage dans la région Chorotega est le principal bénéficiaire du programme, raison de choix de ce secteur et de cette région.

Le modèle technique de l’élevage intensif peut utiliser une amélioration génétique du troupeau, une alimentation à base d’intrants achetés ou produits sur l’exploitation et des pâturages améliorés. Par exemple, à Hojancha, considéré comme un modèle de régénération forestière au Costa Rica, une intensification de l’élevage a été encouragée, avec l’introduction de vaches laitières européennes (Holstein), croisées avec des races locales, des pâturages améliorés et de la canne à sucre semée pour alimenter le bétail en saison sèche (Madrigal Cordero, 2012).

L’application du programme RBA est-elle associée à une intensification de l’élevage, à une libération d’espace par l’élevage qui permet une régénération forestière ? Nous allons répondre à cette question à l’aide d’enquêtes dans les exploitations bénéficiaires du programme.

Analyse spatiale de données d’enquêtes chez des éleveurs bénéficiaires du programme de RBA dans la région Chorotega au Costa Rica

Des entretiens auprès du responsable du service « développement durable » du MAG au niveau national et auprès de techniciens dans les antennes locales du MAG dans notre zone d’étude nous ont permis de mieux connaitre le programme RBA. Les listes de bénéficiaires fournies par les services du ministère de l’Agriculture regroupent 1 031 exploitants pour des projets RBA entre 2007 et 2013. Des enquêtes auprès de 75 éleveurs ont été conduites de février à mai 2014. L’échantillon d’enquêtes a été constitué par tirage aléatoire est effectué à partir de ces listes, avec une stratification par date d’entrée dans le programme RBA. Une partie des éleveurs interrogés a reçu l’aide du programme RBA en 2007, l’autre en 2012 ou 2013. Le guide d’entretien comprend une partie spatiale avec un plan des exploitations agricoles et une description des parcelles et des pratiques, une partie portant sur les caractéristiques générales de l’exploitation agricole, l’application du programme RBA et les perspectives d’avenir de l’exploitation. Nous disposons des plans d’usage du sol de 75 exploitations et des données complètes sur les caractéristiques des exploitations et sur les parcelles dans 60 exploitations agricoles en 2006 (date d’initiation du RBA) et 2012. Nous proposons une analyse spatiale à l’aide des chorèmes afin d’appréhender les usages de l’espace et les dynamiques spatiales, centrales pour une activité utilisatrice d’espace comme l’élevage. Nous utilisons la modélisation graphique pour représenter des organisations et dynamiques spatiales et territoriales de territoires d’exploitations agricoles. Les logiques fonctionnelles des systèmes de production agricole sont associées à des organisations spatiales. Notre analyse se situe ainsi à la charnière interdisciplinaire entre géographie et agronomie dans le prolongement de travaux antérieurs (Deffontaines, 1996 ; Capitaine et Benoit, 2001 ; Bonin, 2001 ; Bonin et Lardon, 2002 ; Houdart et al., 2004 ; Bonin et Houdart, 2012).

Nous analysons les 75 plans d’exploitation disponibles et nous représentons les organisations et dynamiques spatiales à l’aide de la modélisation graphique (Brunet, 1980 ; Cheylan et al., 1990). Des analyses statistiques descriptives sont également conduites dans la base de données contenant les caractéristiques socio-économiques des exploitations agricoles enquêtées (données disponibles pour 60 exploitations agricoles) d’une part et la base de données parcellaires d’autre part (données disponibles pour les 1 100 unités d’utilisation5 des 60 exploitations) contenant des informations sur les usages du sol en 2006 et 2012. Les unités d’utilisation sont représentées sur chaque plan d’exploitation avec l’agriculteur (voir par exemple les 24 unités d’utilisation sur le plan de l’exploitation présentée en figure 3). Le nombre d’unités de 1 100 correspond au nombre d’unités en 2012. C’est une base fixe dans la base de données. Dans le déroulement de l’enquête, nous commençons par décrire le territoire de l’exploitation en 2012. Les modes de faire valoir et l’usage des terres sont notés pour les différentes unités en 2012 et 2006. Les changements entre 2006 et 2012 (achats/vente/locations, redécoupages d’unités pour la réalisation de parcs et changement d’usage des terres) sont notés au moment de l’entretien puis enregistrés dans la base de données.

Organisations et dynamiques spatiales des territoires d’exploitation

L’analyse des plans des exploitations agricoles nous a permis de dégager quatre principales structures spatiales (chorèmes). Ces structures élémentaires peuvent être combinées pour représenter les modèles graphiques des territoires des exploitations agricoles (deux exemples sont présentés, figures 3 et 4).

Principales structures et dynamiques spatiales

Le premier exemple (figure 3) est celui d’une ferme d’élevage exclusivement. Il s’agit d’une exploitation laitière de 55 vaches laitières (livraison à la coopérative Dos Piños) et 8,4 ha de SAU (Surface Agricole Utile).

Figure 3. Exemple de territoire de ferme avec une structure spatiale élémentaire de type « Parcs en bande avec pâturage en rotation », Bagaces (Costa Rica).

Figure 3. Exemple de territoire de ferme avec une structure spatiale élémentaire de type « Parcs en bande avec pâturage en rotation », Bagaces (Costa Rica).

Le territoire de la ferme est divisé en parcs. Le troupeau est déplacé de parc en parc afin de laisser suffisamment de temps à la repousse de la ressource fourragère entre deux périodes de pâturage. La logique de gestion du troupeau tient compte de l’organisation spatiale et temporelle des ressources fourragères.

Le second exemple présenté en figure 4 est celui d’une exploitation en polyculture élevage (15 vaches laitières, production de maïs et haricot ; 65,3 ha de surface au total). Le territoire de cette exploitation comprend des parcs en quadrillage, des cultures et des bois.

Figure 4. Exemple de territoire d’exploitation avec les trois structures élémentaires, Cañas (Costa Rica).

Figure 4. Exemple de territoire d’exploitation avec les trois structures élémentaires, Cañas (Costa Rica).

La mosaïque spatiale entre cultures et pâturage correspond à une diversité de productions agricoles.

Les quatre principales structures spatiales élémentaires (quatre chorèmes) sont représentées en figure 5 : le premier chorème correspond à un espace de pâture séparé en parcs délimités par des enclos amovibles (clôtures électriques) ou non (clôture fixe en fil barbelé ou haie vive) ; le second chorème correspond à des espaces comprenant des parcelles mises en culture avec des productions alimentaires (granos básicos) telles que maïs, riz ou haricot et dispersées au milieu de pâture ; le troisième chorème correspond à un espace de pâture entouré de forêt ; le dernier à une réduction d’espace en une occupation du sol donnée.

Figure 5. Quatre chorèmes pour représenter les modèles d’organisation spatiale des territoires d’exploitations agricoles.

Figure 5. Quatre chorèmes pour représenter les modèles d’organisation spatiale des territoires d’exploitations agricoles.

Figure 5. Quatre chorèmes pour représenter les modèles d’organisation spatiale des territoires d’exploitations agricoles.

Une représentation graphique du modèle de développement consistant à intensifier l’élevage est présentée en figure 6 : l’objectif est d’introduire des pâturages améliorés en remplacement de pâturages naturels ce qui dégage des espaces forestiers.

Figure 6. Le modèle de développement : intensification de l’élevage conduisant à une régénération forestière.

Figure 6. Le modèle de développement : intensification de l’élevage conduisant à une régénération forestière.

Une dynamique spatiale principale : la division de pâturages naturels en pâturages améliorés

L’analyse des évolutions de l’utilisation du sol entre 2006 et 2012 dans les exploitations enquêtées (figure 7) montre une stabilité des surfaces boisées (de 1 639 ha en 2006 a 1 632 ha en 2012 au total), une diminution de 29% des superficies en pâturage naturel et une augmentation de 77% des surfaces en pâturage amélioré. Le total des surfaces en pâturage (naturel + amélioré) passe de 2 044 ha en 2006 à 2 281 ha en 2012, ce qui représente une augmentation de 12%. Le nombre d’animaux augmente de 9% et la productivité par vache augmente légèrement (de 6,1 litres de de lait par vache en saison sèche en 2006 à 6,5 litres en 2012).

Figure 7. Évolution de l’occupation du sol dans les exploitations agricoles entre 2006 et 2012.

Figure 7. Évolution de l’occupation du sol dans les exploitations agricoles entre 2006 et 2012.

L’analyse des données au niveau des 1 100 unités d’utilisation du sol dans les exploitations enquêtées montre une dynamique majeure : l’augmentation du nombre d’unités en pâturage amélioré. Les pâturages améliorés représentent 66% des unités d’utilisation (551 en 2012 sur 1 100 au total). 260 de ces 551 sont issues d’unités qui ont été divisées entre 2006 et 2012 et de quelques unités qui étaient hors ferme (et ont été achetées, louées ou acquises par mise à disposition) (tableau 1 et tableau 2).

  2006 2012 Évolution 2006-2012
Nombre d’unités en pâturage naturel 211 171 -19%
Nombre d’unités en pâturage amélioré 277 553 100%
Nombre total d’unités en pâturage 488 724 48%
Nombre total d’unités 1 100 1 100  

Tableau 1. Évolution du nombre d’unités en pâturage.

Origine en 2006 des unités en pâturage amélioré en 2012 Nombre d’unités % des unités en pâturage amélioré en 2012
Pâturage amélioré en 2006 251 45,4%
Pâturage naturel en 2006 40 7,2%
Redécoupage 262 47,4%
Total Pâturage amélioré en 2012 553 100%

Tableau 2. Origine en 2006 des unités en pâturage amélioré en 2012.

L’augmentation du nombre d’unités en pâturage amélioré dans les exploitations enquêtées est donc un changement majeur. Le tableau 2 montre l’origine en 2006 des unités en pâturage amélioré en 2012. 45% étaient déjà en pâturage amélioré, 7% en pâturage naturel. L’essentiel concerne des redécoupages d’unités déjà présentes dans l’exploitation et les achats/location d’unités. Il s’agit dans la majorité des cas d’un redécoupage d’unités qui étaient en pâturage naturel en 2006.

Les unités boisées (bois primaires ou secondaires) représentent 6% du nombre total des unités en 2012. Nous constatons une stabilité du nombre d’unités en bois primaire (qui n’a jamais été coupé ou il y a longtemps, plus de 100 ans) et secondaire, c’est-à-dire issu d’une repousse après coupe de bois primaire (tableau 3)

  2006 2012
Nombre d’unités en bois secondaire 43 47
Nombre d’unités en bois primaire 13 15
Total nombre d’unités en bois 56 62
Nombre total d’unités 1 100 1 100

Tableau 3. Évolution du nombre d’unités boisées entre 2006 et 2012.

La principale dynamique spatiale observée (représentée en figure 8) est donc une augmentation du nombre d’unités et une augmentation des surfaces en pâturage amélioré. Cette augmentation n’est pas associée à une régénération forestière, mais à la division d’unités qui étaient en pâturage naturel.

Figure 8. La principale dynamique spatiale observée : division de pâturages naturels en parcs de pâturage amélioré.

Figure 8. La principale dynamique spatiale observée : division de pâturages naturels en parcs de pâturage amélioré.

La mise en œuvre du programme RBA dans les exploitations d’élevage ne se traduit donc pas par une régénération forestière, mais elle est associée à un changement dans la gestion du troupeau qui se traduit spatialement (passage de pratiques où le troupeau est laissé en pâture sur des pâturages naturels à un système de parcs en pâturage amélioré avec rotation du troupeau sur les différents parcs).

Vers une intégration des pratiques d’élevage et de la reforestation ?

La modélisation graphique a été utile dans cette analyse pour nous aider à formaliser et pour représenter les organisations et dynamiques spatiales. La principale dynamique observée est différente du modèle théorique initial. Il n’y a pas d’espace libéré pour de la régénération forestière. Nous observons une augmentation du nombre d’unités en pâturages améliorés dans les exploitations enquêtées. Cela correspond aux modalités soutenues par le RBA (plantations de haies vives et installation de pâturages améliorés). Les éleveurs qui réussissent à dynamiser leur activité par des pâturages améliorés ne réduisent pas l’espace utilisé. Au contraire, ils sont dans une logique de développement de leur activité d’élevage qui ne libère pas d’espace pour la régénération forestière. Remarquons cependant que l’augmentation du nombre de bêtes et de la productivité laitière a été atteinte sans déforestation.

Nous n’observons pas dans le cas des exploitations agricoles enquêtées et ayant souscrit un contrat RBA, une diminution des granos básicos (maïs, riz, haricot rouge) (Bertsch, 2006) ou des plantations forestières commerciales comme cela peut être observé ailleurs et dans d’autres exploitations au Costa Rica. Nous pouvons penser que ces exploitations qui abandonnent les granos básicos et/ou investissent dans des plantations forestières sont dans une logique de diminution de l’élevage voire d’abandon. Il ne s’agit pas des mêmes exploitations que celles qui sont dans le programme RBA qui sont plus dans l’ensemble dans une logique de développement de l’activité d’élevage, soutenue par ce programme du Ministère de l’Agriculture et de l’élevage.

Nos résultats montrent que l’objectif initial de reboisement du programme n’est pas atteint. Cependant ceci ne justifie pas une réorientation : en effet, l’objectif en termes de changement d’usage de l’espace (reforestation) était explicite, mais n’était pas l’objectif central du programme. Par ailleurs, nous ne pouvons pas dire que les agriculteurs auraient « détourné » en partie les subventions. Des acteurs intermédiaires (entre ministère au niveau national et agriculteurs) interviennent dans la mise en œuvre concrète de la politique : les services locaux du MAG et les organisations de producteurs ont formulé des projets d’investissements locaux dans le cadre du programme RBA qui ont été validés par les services du ministère au niveau national. Ceci assure une adaptation locale du dispositif national. Ainsi, comme indiqué par Pressman et Wildavsky (19736, cités par Bergeron et al., 1998), les intentions initiales des acteurs de la décision correspondent peu à ce que l’on observe dans la mise en œuvre effective de la politique publique. En effet, Mazmanian et Sabatier (19817, cités par Bergeron et al., 1998) montrent que les systèmes d’action locaux aboutissent à une reformulation permanente des politiques et ils ne sont pas « de simples éléments déstabilisateurs, mais également des producteurs d’ordre, même si ce dernier ne correspond que partiellement aux caractéristiques d’une ou de plusieurs décision(s) initiale(s) » (Bergeron et al., 1998, p. 198). Ce n’était pas l’objet de cet article, mais l’étude pourrait être utilement complétée par une analyse de ces systèmes d’action locaux. Par ailleurs, les exploitations agricoles étant parties prenantes de territoires ruraux, il serait intéressant d’analyser les transformations des territoires ruraux et les liens avec les transformations des territoires d’exploitation agricole.

Les résultats obtenus dans cette étude ouvrent des perspectives en termes de recherche et de développement : l’étude pourrait être approfondie en analysant l’évolution des alignements d’arbres, haies autour des parcelles ou des sources d’eau soutenues également par le programme RBA et l’évolution des arbres présents dans les pâturages. L’étude pourrait également être complétée par une analyse plus précise des changements de pratique d’élevage, des résultats zootechniques et technico-économiques et par une analyse des autres modalités et effets du programme RBA. De nouvelles pratiques agro-écologiques pourraient être encouragées (par exemple, des rotations entre unités cultivées). Plutôt que de voir élevage et forêt comme opposés et exclusifs l’un de l’autre, des complémentarités pourraient être recherchées (arbres d’ombrage comme refuges pour les animaux en saison sèche et en cas de fortes chaleurs, bénéfices pour les arbres liés à la fumure…). Cela renvoie à la reconnaissance au Costa Rica de l’importance des « arbres hors forêt » (Jones, 2002) : les espaces boisés peuvent être une composante des espaces agricoles et les espaces agricoles être aussi des refuges de biodiversité et fournir des services écosystémiques.

Remerciements

Les auteurs remercient l’ensemble des personnes interrogées au Costa Rica pour cette étude. Ce travail a bénéficié du soutien financier de l’ANR (Agence Nationale de la Recherche française) au travers des projets SERENA et INVALUABLE.

Références citées

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Notes   [ + ]

1. Ministerio de Agricultura y Ganaderia, MAG, pour son acronyme en espagnol
2. Le programme RBA  contient des mesures visant également la préservation des ressources en eau (plantation de haies d’arbres autour des sources). Nous centrons notre analyse ici sur les mesures qui impliquent des changements d’usage du sol importants en surface.
3. Dans les pâturages naturels, le troupeau est mis au pâturage sur un terrain où la végétation pousse naturellement. À l’inverse, le pâturage amélioré est semé afin de présenter une valeur nutritive supérieure pour le troupeau.
4. « introducir sistemas productivos que utilicen en forma más eficiente el recurso suelo y liberen como consecuencia excedentes de tierra que pueden dedicarse a la protección y conservación de recursos naturales »
5. La parcelle, ou unité d’utilisation, correspond au niveau de l’itinéraire technique ; l’unité de gestion à celui du système de culture (Houdart, 2005, p. 216). Dans la suite du texte, nous ne retiendrons pas le terme parcelle qui peut prêter à confusion car il ne s’agit pas ici de parcelles au sens cadastral du terme. Nous retiendrons unité d’utilisation qui correspond à l’espace d’application d’un itinéraire technique.
6. Pressman J., Wildavsky A., 1973. Implementation. Berkeley, University of California Press.
7. Mazmanian D., Sabatier P. (éd.), 1981. Effective Policy Implementation. Lexington, Heath.

    Les auteur.es :

    Muriel Bonin

    Chercheure, Centre de Coopération International en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD), UMR Tetis, Université de Montpellier, AgroParisTech, CIRAD, CNRS, IRSTEA

    Jean-Francois Le Coq

    CIRAD, Chercheur, UMR ART-Dev, Chercheur associé au Centre International d'Agriculture Tropical (CIAT) - Département Analyse des Décisions et Politiques - (DAPA) – Cali, Colombie

    Fernando Saenz-Segura

    Universidad Nacional de Costa Rica (UNA)/CINPE, Costa Rica

    Anais Lamour

    Doctorante, INRA (Institut National de Recherche Agronomique), UMR LAMETA (Laboratoire Montpellierain d’Économie Théorique et Appliquée), Montpellier SupAgro

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