Carte des créatures mythiques d’Europe

- février 2018


Extrait de Giedrė Beconytė, Agnė Eismontaitė et Jovita Žemaitienė. (2013). « Mythical creatures of Europe ». Journal of Maps, p. 53-60. En ligne

Carte téléchargeable en pdf. G. Beconyté et al.

Carte téléchargeable en pdf. G. Beconyté et al.

En 2013 sont publiés dans la revue Journal of Maps un article et une carte d’un groupe de recherche de l’Université de Vilnius compilant une somme de données considérable sur les créatures mythiques d’Europe. S’inspirant d’un ouvrage légendaire chinois (qui n’a probablement jamais existé !) qui décrit de manière quasi scientifique les types de monstres et de démons, les auteurs ont développé une approche par système d’information géographique (SIG, avec le logiciel ArcGIS) afin de réaliser une carte au 1 : 7 200 000 des types et milieux de 213 créatures trouvées dans la littérature populaire de toute l’Europe.

Si la démarche peut paraître farfelue, la méthodologie et le traitement de l’information sont rigoureux et pragmatiques : les données de base ont été compilées à partir des encyclopédies, des monographies, des ouvrages populaires, de sites internet dédiés dans plus de 7 langues différentes et recoupées selon différentes sources. On reste un peu étonné, entre autres, par le peu de références sur la Bretagne (celte) pourtant très riche en créatures folkloriques… Mais les auteurs eux-mêmes disent ne pas prétendre à l’exhaustivité.

Dans un second temps, une base de données relationnelle a été créée afin de déterminer des typologies de créatures regroupées dans de grandes catégories (animaux hybrides, créatures anthropomorphes…). Les auteurs soulignent les difficultés à définir des typologies claires, par exemple pour l’Aitvaras (de la mythologie lituanienne) qui peut apparaitre sous forme de coq, de boule de feu ou même rester invisible !

Un autre critère de classification a été le rôle de la créature, son caractère : nocif, bienveillant, ambivalent ou neutre (les auteurs affectent dans cette dernière catégorie la Banshee issue de la mythologie irlandaise qui s’apparenterait à « la Dame blanche » dans l’Ouest français… plutôt annonciatrice d’une mort imminente, ce qui n’est pas particulièrement neutre !)

Beaucoup plus intéressant pour les géographes est le critère de répartition des créatures par milieu, introduisant une sorte de « niche écologique » des monstres (!) : les grottes, la mer, les montagnes, la forêt… ces lieux de vie sont d’ailleurs représentés de bien jolie manière sur la carte.

On est très étonné que nulle part dans l’article il ne soit fait mention de l’époque d’apparition des créatures comme critère de classement ! Comment mettre sur le même plan des légendes grecques antiques (comme Pégase) et des mythes quasi contemporains (comme les vampires) ?

Les critères de localisation des créatures sont également très peu clairs dans l’article, les auteurs parlant de « zones ethnographiques » et insérant même des plages de couleurs en fond dites « Ethnic regions » (dont la source reste mystérieuse, elle aussi). Ces effets colorés sont visuellement assez intéressants, mais ne correspondent absolument à rien en termes de réalité ethno-géographique !

Figure 1. Détail de la couche de fond « régions ethniques » (France, Italie du Nord, Allemagne, Pays-Bas…). Capture d’écran.

Figure 1. Détail de la couche de fond « régions ethniques » (France, Italie du Nord, Allemagne, Pays-Bas…). Capture d’écran. G. Beconyté et al.

En effet, au-delà de la vraie démarche systématique de regroupement et de classification des données, les auteurs avouent que leur objectif était de réaliser une « belle » carte essentiellement pour le grand public. L’accent a donc été placé sur les petites figures symbolisant les créatures. En conclusion, les auteurs parlent d’œuvre d’art, ce qui est sans doute un peu exagéré, mais force est de constater que le résultat est assez attrayant (bien qu’un peu surchargé !)

Figure 2. Détail sur l’Irlande (capture d’écran). G. Beconyté et al.

Figure 2. Détail sur l’Irlande (capture d’écran). G. Beconyté et al.

Toujours dans la conclusion, les auteurs parlent d’une « combinaison d’éléments cartographiques anciens et modernes ». Effectivement, ne sommes-nous pas ici très proches (dans une version modernisée) de la Carta Marina d’Olaus Magnus de 1539 ?  Même la représentation du Nord et les lignes réticulées semblent tout droit sorties des lignes de rhumbs du cartographe suédois.

Figure 3. Détail de Carta Marina, Olaus Magnus (capture d’écran). https://fr.wikipedia.org/wiki/Carta_Marina

Figure 3. Détail de Carta Marina, Olaus Magnus (capture d’écran). https://fr.wikipedia.org/wiki/Carta_Marina

Les auteurs multiplient ainsi (volontairement ou non ?) les emprunts à différents styles cartographiques pour les appliquer ici : le cartouche du titre se référant aussi bien à la graphie des jeux de rôles (type Donjons et Dragons) qu’à la cartographie marine des XVII et XVIIIsiècles. Enfin, les deux colonnes de texte situées de part et d’autre et occupant presque un tiers de la surface sont très proches des cartes touristiques des années 1950-1960 notamment (surchargées !), appliquant la technique de la numérotation géolocalisée avec référence textuelle en marge. Dans le cas présent, il y a presque plus à lire qu’à voir !

Au final, l’équipe lituanienne s’est peut-être engagée dans un travail trop lourd : compilation bibliographique à l’échelle européenne sur un sujet très vaste ; constitution d’une base de données relationnelle complexe ; mise en œuvre d’un SIG (dont on ne voit pas trop l’intérêt ici étant donné que ce sont de simples représentations ponctuelles de l’information) et cartographie « artistique » grand public… De fait, aucune des démarches entreprises n’est vraiment aboutie.

Bon nombre de créatures ont été « oubliées » faute d’une bibliographie réellement exhaustive (quelle pauvreté de résultats sur la France par exemple !). La démarche de constitution d’une base de données couplée au SIG aurait pu être très intéressante au-delà des simples classements en secteurs des différents groupes. Une étude précise mettant en relation mythologie folklorique et déterminisme géographique aurait été passionnante à partir des données relevées. La démarche « artistique » de représentation aurait pu être confiée à des graphistes spécialisés (je pense notamment aux dessinateurs et concepteurs qu’on retrouve sur DeviantArt1 ou de la Guilde des Cartographes2).

Malgré le caractère incomplet de cette étude, on ne pourra que s’émerveiller de la richesse des mythes locaux en Europe et dont cette carte rend partiellement compte.

Cette étude a été réalisée de 2011 à 2013. Il serait intéressant de savoir si, depuis, elle a été complétée et affinée, et surtout si la carte finale a trouvé son public !

Notes   [ + ]

    L'auteur.e :

    Franck Vidal

    GEODE UMR 5602/CNRS - Maison de la Recherche Université de Toulouse Jean Jaurès