Le paysage, entre esthétique et écologie. Modélisation rétrospective à partir de changements d’occupation du sol

- février 2018


Le paysage, entre esthétique et écologie

Les paysages sont porteurs de plusieurs enjeux, constituant un cadre de vie participant au bien-être des populations humaines, mais également un support des processus écologiques permettant aux espèces animales d’exécuter leur cycle de vie. Ces deux fonctions, l’une esthétique et l’autre écologique, peuvent cependant entrer en contradiction. C’est notamment le cas dans les milieux soumis à une forte pression anthropique comme les agglomérations urbaines, où les politiques publiques font face à des enjeux de gestion intégrée du paysage cherchant à concilier la préservation de la qualité du cadre de vie des habitants et la conservation de la biodiversité. Ces logiques étant généralement étudiées dans des champs disciplinaires différents, peu de recherches ont porté sur la manière dont elles s’articulent selon les modifications des structures paysagères. Ce travail de thèse a donc cherché à évaluer de manière rétrospective la coévolution spatiale des fonctions esthétique et écologique du paysage compte tenu des modifications des structures paysagères. S’il s’est clairement positionné dans le domaine de la géographie, des concepts et approches propres à la psychologie environnementale et à l’écologie du paysage ont été mobilisés dans une visée interdisciplinaire, indispensable pour répondre aux questions posées.

Comme l’ont souligné Gobster et al. (2007), le paysage constitue l’échelle la plus pertinente pour l’étude intégrée des relations entre esthétique et écologie. Cependant, si certaines recherches ont déjà exploré les relations entre les fonctions esthétique et écologique du paysage (par exemple, McCormick et al., 2015), rares sont celles qui se sont penchées sur la manière dont les changements paysagers les modifient de manière conjointe. Les travaux de Fry et al. (2009) ont souligné l’importance des structures paysagères pour formaliser la relation entre la dimension visuelle (esthétique) et écologique du paysage au moyen d’indicateurs spatiaux. Ma démarche s’est inscrite dans ce cadre et s’est appuyée sur les changements d’occupation du sol pour caractériser l’évolution des structures paysagères.

Mon attention s’est focalisée sur un contexte spatial de franges urbaines, concerné par de multiples enjeux à l’intersection entre des problématiques de développement urbain, de gestion des espaces naturels et de valorisation des terres agricoles. L’exemple présenté ici concerne les franges urbaines nord-ouest de l’agglomération de Besançon et leurs dynamiques entre 1984 et 2010.

Une démarche modélisatrice

La figure  1 présente la démarche générale adoptée pour répondre aux enjeux posés par la thèse. Deux étapes générales ont été nécessaires. La première a consisté à modéliser les fonctions esthétique et écologique du paysage de manière indépendante. La seconde étape a ensuite contribué à analyser de manière diachronique la façon dont ces fonctions ont coévolué dans l’espace au cours du temps. Plus spécifiquement, j’ai cherché à savoir s’il existait des divergences ou des convergences entre elles. Dans ce cheminement, l’occupation du sol est au cœur des différentes analyses, permettant de caractériser les structures et dynamiques du paysage. Le suivi des dynamiques paysagères a en effet été permis par la réalisation de Mode d’Occupation du Sol (MOS) d’une résolution spatiale de 5 mètres pour chacune des dates, en s’appuyant sur des techniques géomatiques permettant l’assemblage de données de différentes sources, et sur un travail de photo-interprétation.

Figure 1. Démarche générale adoptée dans le cadre de la thèse.

Figure 1. Démarche générale adoptée dans le cadre de la thèse.

Pour caractériser les structures paysagères à l’aide des informations d’occupation du sol, des métriques spatiales ont été mobilisées pour passer de cette information brute à un paysage « reconstruit » représentant d’une part un paysage visible par les individus/habitants, et d’autre part un paysage utilisé pour les déplacements des espèces animales. La manière de caractériser ces deux dimensions du paysage à partir de l’occupation du sol a nécessité le recours à des modélisations particulières à chaque cas :

  • La modélisation du potentiel esthétique du paysage passe par le calcul de métriques de visibilité du paysage à l’aide du logiciel PixScape (Sahraoui et al., 2016a), reconstituant le paysage potentiellement visible par des observateurs virtuels parcourant l’espace. Un questionnaire photographique a permis de révéler les préférences esthétiques d’un panel d’individus, pour ensuite les spatialiser dans l’ensemble du continuum spatial (Sahraoui et al., 2016b) ;
  • La modélisation du potentiel écologique du paysage passe par le calcul de métriques de connectivité à partir du logiciel Graphab (Foltête et al., 2012). Cela implique la représentation du réseau écologique d’une espèce sous forme d’un graphe paysager composé de nœuds (habitats des espèces) et de liens (chemins de déplacements entre les habitats). À partir d’informations sur les besoins écologiques d’un ensemble d’espèces animales représentatives des différents écosystèmes en présence, il a été possible de spatialiser un potentiel de connectivité écologique multi-espèces, également dans l’ensemble du continuum

Essai de spatialisation comparée

À partir des deux étapes de modélisations paysagères, une approche rétrospective basée sur les changements d’occupation du sol m’a conduit à une représentation spatiale des zones concernées par des pertes et gains de qualités esthétiques potentielles d’une part, et de connectivité écologique d’autre part. L’ensemble de la zone d’étude a ensuite été catégorisé en neuf classes basées sur la moyenne et l’écart-type de la distribution des valeurs de variation des potentiels esthétique et écologique. Cette catégorisation a permis de souligner les différentes modalités de coévolution spatiale des potentiels paysagers.

La figure 2 présente en parallèle l’occupation du sol en 1984 et 2010 sur la zone d’étude et la coévolution des potentiels esthétique et écologique du paysage entre ces deux dates. Il est possible d’observer que la majeure partie cette zone est concernée par une stabilité soit des deux potentiels, soit de l’un d’entre eux. Au-delà de ces zones de relative stabilité, quatre cas retiennent l’attention. Tout d’abord, des espaces de diminution conjointe des potentiels esthétique et écologique du paysage (en rouge) sont particulièrement visibles dans les franges les plus proches de l’agglomération de Besançon. Ces zones de convergence négative peuvent être expliquées par le développement urbain, impactant à la fois la connectivité écologique et les préférences esthétiques. À l’inverse, les espaces de convergence positive (en vert) se distribuent dans des zones plus naturelles (plateaux boisés et bords de cours d’eau). Deux cas particuliers révèlent ensuite une divergence dans l’évolution des potentiels paysagers, concernant les zones de diminution du potentiel esthétique et d’augmentation du potentiel écologique (en jaune) et inversement (en bleu). Précisons ici qu’une évolution localisée à un certain point de l’espace résulte de changements d’occupation du sol ayant eu lieu dans d’autres points de l’espace. Des analyses complémentaires, présentées au sein de la thèse, ont fourni des éléments de compréhension sur l’origine de ces convergences et divergences entre esthétique et écologie.

De manière générale, cette thèse a apporté de nouveaux éléments de compréhension des relations entre esthétique et écologie du paysage, permettant à terme de donner des pistes pour un aménagement du territoire conciliant la préservation du cadre de vie des habitants et la conservation de la biodiversité.

Figure 2. Coévolution spatiale des potentiels esthétique et écologique du paysage. L’occupation du sol simplifiée de Besançon (1984 et 2010) est présentée ici présentée à titre indicatif de manière à identifier les structures paysagères de la zone d’étude.

Figure 2. Coévolution spatiale des potentiels esthétique et écologique du paysage. L’occupation du sol simplifiée de Besançon (1984 et 2010) est présentée ici présentée à titre indicatif de manière à identifier les structures paysagères de la zone d’étude.

Références

Foltete J.-C., Clauzel C., Vuidel G. (2012). « A software tool dedicated to the modelling of landscape networks ». Environmental Modelling & Software, vol. 38, p. 316-327.

Fry G., Tveit M.S., Ode A., Velarde M.D. (2009). « The ecology of visual landscapes : Exploring the conceptual common ground of visual and ecological landscape indicators ». Ecological Indicators,vol. 9, n°5, p. 933-947.

Gobster P.H., Nassauer J.I., Daniel T.C., Fry G. (2007). « The shared landscape : what does aesthetics have to do with ecology ? ». Landscape Ecology, vol. 22, n°7, p. 959-972.

McCormick A., Fisher K., Brierley G. (2015). « Quantitative assessment of the relationships among ecological, morphological and aesthetic values in a river rehabilitation initiative ». Journal of Environmental Management, vol. 153, p. 60-67.

Sahraoui Y., Vuidel G., Foltete J-C., Joly D. (2016a). « PixScape – un outil logiciel intégré pour l’analyse du paysage visible ». Cybergeo, article 799. En ligne

Sahraoui Y., Clauzel C., Foltete J.-C. (2016b). « Spatial modelling of landscape aesthetic potential in urban-rural fringes ». Journal of Environmental Management, vol. 181, p. 623-636.

Références de la thèse

Sahraoui Y. (2016). Le paysage, entre esthétique et écologie. Modélisation rétrospective à partir de changements d’occupation du sol. Thèse de doctorat, Université de Franche-Comté.

    L'auteur.e :

    Yohan Sahraoui

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