Géoarchéologie des ports antiques en contextes deltaïques : Quelques exemples de Méditerranée et de mer Noire

- février 2018


Figure 1. Évolution du trait de côte et localisation des zones d’ancrage de Tel Akko (Israël) au cours du temps. Topographie adaptée à partir de la carte de Treidel (1925-26).Au cours de mon travail de doctorat, j’ai utilisé la démarche classique employée en géoarchéologie portuaire (Marriner et Morhange, 2007), à savoir l’analyse d’archives sédimentaires (sédimentologie et étude des faunes fossiles) récoltées par carottages afin de reconstituer l’évolution des paysages littoraux de plusieurs sites antiques de Méditerranée et de mer Noire dans le but de localiser et de caractériser leurs zones d’ancrage et/ou leurs ports. La combinaison des analyses géoarchéologiques et des découvertes archéologiques nous amène alors à proposer des scénarios d’évolution des paysages littoraux des sites antiques, à l’image du travail réalisé à Tel Akko (baie de Haifa, Israël).

Depuis les premières recherches archéologiques menées dans les années 1970 et 1980, ce site est en effet connu pour avoir été une importante cité commerciale dès le IImillénaire av. J.-C. (Raban, 1991, 1993 ; Dothan et Goldmann, 1993 ; Artzy et Beeri, 2010). Notre recherche, basée sur l’étude comparative de carottes sédimentaires prélevées au pied du tell (Morhange et al., 2016 ; Giaime, 2016 et Giaime et al., à paraître), permet d’apporter un nouvel éclairage sur l’évolution géomorphologique du littoral de Tel Akko au cours des 4 000 dernières années. Nous démontrons que l’évolution environnementale du site a abouti à une importante course à la mer des zones d’ancrages entre l’âge du bronze ancien et l’époque hellénistique.

Dans le détail, nous avons pu démontrer trois phases principales, caractérisées par des paysages littoraux singuliers :

  • De l’âge du bronze à l’âge du fer (ca. 2500-600 av. J.-C.) les faces sud et ouest du tell étaient bordées par des plages de poche ouvertes sur la mer. La présence de la mer dans ce secteur est liée à la transgression marine holocène au sein de la baie de Haifa qui a atteint son maximum aux alentours de 2000 ans avant J.-C. (Sivan et al., 2001 ; Zviely et al., 2006 ; Porat et al., 2008). À cette époque, comme ce fut le cas de nombreux autres sites portuaires de la côte Levantine, les plages pouvaient alors être utilisées comme zones d’ancrage naturelles permettant le halage d’embarcations de petite taille.
  • À la fin de l’âge du fer (VIe-IVe siècle av. J.-C.), la progradation de la plaine côtière et le rapprochement de l’embouchure du fleuve Na’aman ont entrainé la formation d’un estuaire largement ouvert sur la mer, comme le confirme la découverte d’ostracodes caractéristiques de milieux d’eau douce dans des sables marins lors de l’étude de nos carottages. Cet estuaire, d’après la typologie de Reinson (1992), était selon toute vraisemblance partiellement fermé par une flèche sableuse se développant du sud vers le nord en raison du transport sédimentaire induit par la dérive littorale. L’utilisation de ce dernier comme zone d’ancrage naturelle, hypothèse avancée par Raban dès 1987, se confirme, car de nombreuses céramiques, parfois recouvertes de bio-constructions marines, et portant des traces d’usures caractéristiques d’une exposition aux processus marins ont été découvertes. Ces céramiques sont datées entre le VIIe et le IVsiècle avant J.-C. et leur identification démontre qu’il s’agit en partie de pièces importées d’Égypte, de Grèce et de Cilicie, attestant encore une fois de l’importance du tell comme zone portuaire à cette époque. Si l’estuaire est largement ouvert sur la mer au début de l’époque perse (VIIe-IVsiècle av. J.-C.), il se colmate rapidement. La faible colonne d’eau, la texture argileuse des sédiments ainsi que l’absence de faune marine démontrent que ce secteur était largement déconnecté de la mer et difficilement navigable, même par de petites embarcations dès le IVsiècle av. J.-C.
  • Cela explique sans aucun doute la relocalisation des activités portuaires sur la façade ouest du tell, au sein d’une plage de baie largement ouverte sur la mer à la fin de l’époque perse et au début de l’époque hellénistique (IVe-IIIsiècle av. J.-C.). Aux évidences géomorphologiques démontrant la présence d’une plage ouverte sur la mer de l’âge du bronze à l’époque hellénistique, s’ajoute la découverte de céramiques roulées portant des marques de bio-constructions marines datées de la même époque. En outre, des fouilles archéologiques menées par Amani Abu-Hamid et Michal Artzy (Université de Haifa) ont révélé, la présence, sur la pente du tell d’un petit établissement industriel datant du IVsiècle avant J.-C. Des céramiques perses et hellénistiques ont été découvertes dans des sédiments marins et correspondent au faciès découvert dans nos carottages, délimitant un littoral de haute énergie. La courte période d’utilisation de ce site, centrée sur le IVsiècle av. J.-C., semble souligner une progradation rapide du littoral à partir de cette époque en raison de l’apport sédimentaire croissant au niveau de base.

Notre travail révèle que la contrainte majeure ayant affecté les ports de Tel Akko est l’apport sédimentaire, la seule option possible pour lutter contre l’afflux de sédiments a été la course à la mer des zones d’ancrages. La perte du lien maritime direct de Tel Akko à l’époque hellénistique semble être une des conséquences de l’abandon du site. En effet, dès le début du IIsiècle av. J.-C. le site est abandonné et ne sera plus occupé par la suite. Ce dernier est alors relocalisé sur le promontoire d’Akko, 1 500 m plus à l’ouest, à l’emplacement actuel du port et de la vieille ville de Saint-Jean d’Acre. Le port semble avoir une nouvelle fois été installé dans une plage de poche au pied de la ville avant d’être très largement artificialisé (Galili et al., 2010 ; Giaime, 2016).

De l’âge du bronze jusqu’au début de l’époque hellénistique, les zones d’ancrages de Tel Akko sont donc caractérisées par l’utilisation des plages de poche comme zone d’ancrage privilégiée tout comme cela était le cas dans d’autres ports de la côte levantine, comme à Byblos au Liban (Stefaniuk et al., 2005 ; Carayon et al., 2012).

Références

Artzy M., Beeri R. (2010). « Tel Akko ». In Killebrew A.E., Raz-Romero V. (éd.), One thousand nights and days. Akko through the ages. Haifa : Hecht Museum, p. 14-23.

Carayon N., Marriner N., Morhange C. (2012). « Geoarchaeology of Byblos, Tyre, Sidon and Beirut ». Rivista di studi fenici, vol. 39, n°1, p. 55-65.

Dothan M., Goldmann Z. (1993). « Tell Acco ». In Stern E., Levinson-Gilboa A., Aviram J. (éd.). New Encyclopedia of Archaeological Excavations in the Holy Land, Vol. 1. Jérusalem : Israel Exploration Society, p. 17-24.

Galili E., Rosen B., Zviely D., Silberstein N., Finkielsztejn G. (2010). « The Evolution of Akko Harbour and its Mediterranean Maritime Trade Links ». Journal of Island and Coastal Archaeology, vol. 5, n°2, p. 191-211.

Giaime M., Morhange C., Marriner N., Lopez-Cadavid G.-I. (à paraître). « New insight on landscape changes around Akko (Israel) since the Bronze Age and related location of the ancient harbours ». Geoarchaeology.

Marriner N., Morhange C. (2007). « Geoscience of ancient Mediterranean harbours ». Earth Sciences Revue, vol. 80, n°3-4, p. 137-194.


Morhange C., Giaime M., Marriner N., Abu Hamid A., Bruneton H., Honnorat A., Kaniewski D., Magnin F., Porotov A.V., Wante J., Zviely D., Artzy M. (2016). « Geoarcheological evolution of Tel Akko’s ancient harbour (Israel) ». Journal of Archaeological Science: Reports, vol. 7, p. 71-81.

Porat N., Sivan D., Zviely D. (2008). « Late Holocene embayment and sedimentological infill processes in Haifa Bay, SE Mediterranean ». Israel Journal of Earth Sciences, vol. 57, n°1, p. 21-31.

Raban A. (1987). « Alternated River Courses During the Bronze Age along the Israel Coastline ». In Euzennat M., Paskoff R., Trousset P. (éd.), Déplacements des lignes de rivage en Méditerranée d’après les données de l’archéologie : Aix-en-Provence, 5-7 septembre 1985. Paris : Éditions du CNRS, coll. « Colloques internationaux du CNRS », p. 173-189.

Raban A. (1991). « The Port City of Akko in the MBII Period ». Michmanim, n°5, p. 17-34.

Raban A. (1993). « Maritime Akko ». In Stern E., Levinson-Gilboa A., Aviram J. (éd.). New Encyclopedia of Archaeological Excavations in the Holy Land, Vol. 1. Jerusalem : Israel Exploration Society, p. 29-31.

Reinson G.E. (1992). « Transgressive barrier island and estuarine systems ». In Walker R.G., James N.P. (éd.), Facies Models : Response to Sea Level Change. St. John’s, Newfoundland : Geological Association of Canada, p. 179-194.

Sivan D., Wdowinski S., Lambeck K., Galili E., Raban A. (2001). « Holocene sea-level changes along the Mediterranean coast of Israel, based on archaeological observations and numerical model ». Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, vol. 167, n°1-2, p. 101-117.

Stefaniuk L., Morhange C., Saghieh-Beydoun M., Frost H., Boudagher-Fadel M., Noujaim-Clark G. (2005). « Localisation et étude paléoenvironnementale des ports antiques de Byblos ». Bulletin d’Archéologie et d’Architecture Libanaises, Hors-Série II, p. 283-307.

Zviely D., Sivan D., Ecker A., Bakler N., Rohrlich V., Galili E., Boaretto E., Klein M., Kit E., (2006). « Holocene evolution of the Haifa Bay area, Israel, and its influence on ancient tell settlements ». The Holocene, vol. 16, n°6, p. 849-861.

Références de la thèse

Giaime M. (2016). Géoarchéologie des ports antiques en contextes deltaïques : quelques exemples de Méditerranée et de mer Noire. Thèse de doctorat en géographie, Aix-Marseille Université.

    L'auteur.e :

    Matthieu Giaime

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