« Fonctionnement systémique d’un territoire en transition énergétique »

- février 2018


Analyser la transition énergétique comme un processus géographique modifie la façon dont on peut aborder les questions qui la sous-tendent. Les rapports de position, le poids des structures spatiales existantes, les processus de différenciation spatiale associés à de possibles nouvelles infrastructures énergétiques, la configuration spatiale de la demande et la variété d’échelles d’organisation possibles permettent de dire que la transition énergétique n’est pas un processus de décision politique indifférent aux lieux.

Nous avons proposé au terme de la thèse un modèle conceptuel de territoire en transition décrit de la manière suivante :

Un territoire en transition est d’abord caractérisé par des conditions initiales spécifiques. La présence historique d’infrastructures énergétiques est favorable au développement des énergies renouvelables. La présence d’entreprises qui connaissent et maîtrisent le marché de l’énergie confère aux territoires des prédispositions pour une mise en œuvre de la transition énergétique. Les partenaires industriels sont connus et ont contribué à une forme de culture énergétique locale. Mais la présence d’infrastructures, notamment les réseaux, facilite aussi les conditions techniques du développement des énergies renouvelables. La difficulté d’accès à l’énergie et une situation d’insécurité face aux approvisionnements encouragent aussi les territoires à se mobiliser sur la question de l’énergie. Enfin, les démarches localistes, les volontés locales institutionnelles, ou émanant de la société civile, d’inscrire l’énergie dans une démarche de projet de territoire et de développement local constituent aussi des conditions initiales propices à une entrée en transition des territoires. Ces trois conditions initiales ne sont pas présentes partout simultanément et peuvent s’imbriquer. Toutefois la présence simultanée de ces trois conditions accélère le processus de transition.

Un territoire entre ensuite en transition selon trois logiques. Là aussi ces logiques ne sont pas nécessairement contradictoires et peuvent coexister dans l’espace. Une logique ascendante d’entrée en transition concerne les territoires dont les conditions initiales marquées par des volontés de développement endogène sont dominantes. Les dispositifs « Territoires à énergie positive » (TEPCV et Tepos) sont aujourd’hui des outils privilégiés pour activer ces conditions initiales. Mais d’autres démarches comme les coopératives citoyennes par exemple pourraient aussi activer une mise en transition. Une logique descendante suivant la hiérarchie des normes traduit la voie institutionnelle d’entrée en transition des territoires. Elle s’appuie en effet sur les collectivités territoriales pour fixer à tous les échelons des cadres d’action et des objectifs normatifs de transition. Enfin, une logique purement industrielle de développement exogène concerne le déploiement des énergies renouvelables selon une démarche de développement de filière inscrite dans un mouvement concurrentiel et d’opportunités économiques.

Le processus de transition énergétique inscrit les territoires dans une double trajectoire d’optimisation, à la fois structurelle et fonctionnelle. Optimisation structurelle et optimisation fonctionnelle sont indissociables. Elles consistent à agir autant sur l’organisation spatiale et le fonctionnement quotidien des territoires que sur les modes de gouvernance ou encore sur la structure matérielle des systèmes d’approvisionnement énergétique. La rénovation urbaine par exemple est désormais vue aussi au travers du prisme énergétique et rejoint l’enjeu social par la question de la précarité énergétique. Un territoire en transition agit par la planification spatiale et questionne les choix de localisation de l’habitat et de l’activité dans une démarche de maîtrise de la consommation d’énergie. Cette optimisation vise à minimiser l’impact énergétique des structures spatiales des territoires.

Les territoires en transition sont contraints par trois éléments fondamentaux dans le fonctionnement des territoires que nous avons qualifiés dans la thèse de Space lock-in.

La trajectoire d’optimisation se heurte en effet au poids des structures existantes, des routines et de la trajectoire dominante. Les structures spatiales des systèmes d’approvisionnement orientent la localisation de développement des technologies renouvelables. Les structures territoriales imposent un cadre normatif à l’optimisation fonctionnelle des territoires. Les routines dans les pratiques spatiales et les choix de localisation résidentielle des individus sont en contradiction avec l’optimisation structurelle des territoires. La trajectoire de transition est de ce point de vue canalisée vers une évolution marginale des conditions de départ. La modification des conditions initiales peut ainsi permettre à de nouveaux territoires d’entrer en transition et aux autres de poursuivre leur trajectoire par boucle de rétroaction selon un principe de Path dependence.

L’image jointe à ce commentaire décrit l’évolution systémique des territoires en transition énergétique. Elle montre les interactions entre conditions initiales, entrée en transition, optimisation et contraintes. Elle illustre en outre comment les trajectoires d’optimisation rétroagissent sur les conditions initiales par l’intermédiaire des contraintes (Space lock-in).

La présence d’infrastructures énergétiques agit sur la difficulté d’accès à l’énergie (en cas d’absence d’infrastructure), peut motiver une démarche localiste ancrée dans une culture énergétique locale et par conséquent s’inscrire dans un processus de développement endogène. Mais elle est aussi favorable au développement exogène dans une logique de continuité du développement industriel de filière.

La difficulté d’accès à l’énergie peut être un moteur de transition autant par développement exogène (développer de nouveaux marchés), que par application de la hiérarchie des normes et des politiques publiques d’accès à l’énergie, que par une volonté locale de répondre à cet enjeu par une valorisation des ressources locales (développement endogène).

La territorialisation de la transition énergétique suivant la hiérarchie des normes favorise aujourd’hui autant un développement exogène (principe des appels d’offres), qu’un développement endogène (principe des appels à projets).

Ces trois types d’entrée en transition (développement exogène, endogène et application de la hiérarchie des normes) conduisent à une trajectoire d’optimisation structurelle et fonctionnelle orientée selon l’importance des contraintes spatiales et territoriales qui s’exercent. L’action sur les structures spatiales des systèmes énergétiques rétroagit sur la présence d’infrastructures énergétiques et sur l’accès à l’énergie. L’action sur les structures territoriales peut influencer les démarches localistes favorablement ou non. L’action sur les structures socio-spatiales, les modes d’habiter ou les pratiques énergivores des individus rétroagit également sur les démarches localistes en les confortant ou non. La modification des conditions initiales, même à la marge, peut stimuler par auto-renforcement une trajectoire de transition suivant une dynamique de Path dependence.

Ce modèle a permis d’identifier une série de résistances et de freins au changement qui s’explique en partie par la nature des dynamiques territoriales à l’œuvre. Mais il ne permet pas aujourd’hui de démontrer sa portée générale et sa plasticité. Il nécessite pour cela d’intégrer la diversité des configurations locales qui pourraient constituer des territoires énergétiques en transition et d’être mis à l’épreuve de cas concrets, dans des contextes et à des échelles géographiques variées. L’identification, dans des territoires différents, de chacun des éléments de ce modèle permettrait, en favorisant une approche comparative, d’évaluer le poids respectif de chacun d’eux dans la dynamique de mise en transition, et de ce point de vue de percevoir la réalité des transformations locales. En outre, la comparaison du poids exercé par les contraintes structurelles et organisationnelles des territoires sur les politiques publiques mettrait en évidence des degrés de liberté, des marges de manœuvre, qui, le cas échéant, alimenteraient une priorisation de l’action publique en matière de transition énergétique. Cette démarche aboutirait de fait à une typologie des territoires en transition en fonction de l’importance et de la nature de chacun des éléments qui composent le modèle.
Libre à chacun de s’approprier ce modèle pour le confronter à des études de cas, le compléter, le remettre en cause ou le mettre au placard pour en proposer un nouveau, autrement dit faire de la science et construire de la connaissance nouvelle.

Fonctionnement systémique d’un territoire en transition énergétique

Références de la thèse

Chabrol M. (2016). Énergie, territoire et path dependence. Enjeux spatiaux et territoriaux d’une déclinaison régionale de la transition énergétique en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Thèse de doctorat, Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse.

 

    L'auteur.e :

    Maximin Chabrol

Dans la même rubrique...