Développer un scénario de renouvellement urbain compact à partir de l’héritage des fortifications urbaines

- juin 2017


La France est riche d’un long passé militaire. Le sol français abrite de nombreux ouvrages fortifiés de toutes natures et de toutes les époques (Barde, 1996). Ce patrimoine représente cinq pour cent du territoire national et compte environ soixante cinq mille bâtiments (Godet, 2007) sous la forme de citadelles, casernes, bastions, forts et autres murailles.

Bien que les fonctions défensives à l’origine de ces ouvrages soient peu à peu tombées en désuétude, ceux-ci restent ancrés dans les tissus urbains des cités qui les abritent. Ils participent indéniablement des morphologies urbaines de ces villes-fortes, de leur identité, mais aussi de leurs schémas fonctionnels. Si leur approche demeure souvent conditionnée par leur statut de constructions à forte valeur patrimoniale, ils font aussi l’objet de remaniements et de reconversions aussi nombreuses qu’étonnantes (logements, établissements scolaires, parcs zoologiques, pépinières d’entreprises, prisons, équipements sportifs, etc.).

Les villes font dorénavant face à de nouveaux enjeux liés à une urbanisation sans précédent. Le phénomène d’étalement urbain et ses conséquences sociales, environnementales et économiques, pousse notamment à envisager des stratégies d’aménagement permettant de tendre vers un urbanisme renouvelé et plus durable.

Ce défi permet de porter sur les fortifications urbaines et l’ensemble de leurs apophyses un regard neuf qui tend à les ériger en véritables ressources pour les villes qui les abritent.

Ce type d’architecture est marqué par des caractéristiques spatiales hors-normes (localisation, volumétrie, géométrie) qui en font des réserves foncières de grand intérêt et de grande valeur, aujourd’hui sous-exploitées. Leur ancrage dans les paysages urbains d’où ils tirent un fort aspect symbolique, ou encore leurs localisations, qui peuvent les rendre difficiles d’accès, ne favorisent pas leur appréhension par l’aménagement contemporain.

Identifier les enjeux auxquels les villes fortes se confrontent aujourd’hui et mieux comprendre leur fonctionnement a été au centre de nos préoccupations (Thierry, 2015). La manière dont les anciennes enclaves militaires peuvent aujourd’hui être réintégrées aux formes urbaines en vue de produire des territoires en cohérence avec la quête d’un urbanisme à la fois renouvelé et plus soutenable sur le long terme a été étudiée.

Besançon : terrain d’étude in vivo, laboratoire in vitro

La ville de Besançon, située dans l’Est de la France et capitale régionale de l’ancienne région Franche-Comté, a été retenue comme terrain d’étude et d’expérimentation dans le cadre de notre recherche.

Ville moyenne et cœur d’agglomération dont la croissance s’est longtemps concentrée autour de son centre historique (abrité au creux d’un méandre du Doubs), Besançon fait face, depuis les années 1970 à un développement urbain important dans ses périphéries.

La cité comtoise apparaît aussi comme l’archétype d’une ville-forte française à la vocation militaire ancienne. Vocation pérenne (due à son site naturel au haut potentiel défensif) dont on peut encore et notamment lire l’importance au travers de la contemplation des ouvrages fortifiés dont Vauban a paré la cité au dix-septième siècle, mais aussi de dispositifs plus récents datant des conflits du dix-neuvième siècle. La ville est donc parsemée d’ouvrages (visibles sur la figure 1 ci-après et numérotés) sur lesquels règne la Citadelle perchée au dessus d’un pli anticlinal entre les deux rives de la boucle. La ville moyenne et ville-forte soumise à l’étalement urbain qu’est Besançon a été mobilisée dans nos travaux pour analyser la nature du lien aujourd’hui entretenu par une ville à ses fortifications (approche historique et descriptive, analyses empiriques, mise en place des hypothèses et fondements conceptuels et thématiques). Elle a, par ailleurs, constitué un laboratoire de choix pour réfléchir à la manière dont ce lien ville-fortifications est à même d’évoluer dans le temps. Besançon a tenu lieu de terrain d’expérimentation pour une modélisation prospective simulant l’ouverture à l’urbanisation des ouvrages militaires bisontins dans le cadre de la mise en place d’un scénario de renouvellement urbain compact.

Un scénario de renouvellement urbain compact pour Besançon ville durable et ville patrimoine

Figure 1. Les zones retenues pour la mise en place d’un scénario de renouvellement urbain compact à Besançon.

Figure 1. Les zones retenues pour la mise en place d’un scénario de renouvellement urbain compact à Besançon.

L’image ci-dessus illustre les choix qui ont été réalisés pour mettre en place ce scénario. Elle doit être lue comme le témoignage d’une étape décisive des travaux. Une étape qui a tenu lieu de charnière entre la restitution d’observations empiriques et la mise en place des prérequis nécessaires à l’élaboration de notre scénario et de la modélisation.

Dix sept zones ou ouvrages défensifs bisontins ont été sélectionnés (en jaune et numérotés sur l’image). Ils correspondent aux espaces identifiés comme mobilisables dans le cadre du renouvellement urbain. Ils ont fait l’objet d’une ouverture à l’urbanisation lors de la phase de modélisation. Cette sélection a été réalisée à partir de la base de données parcellaire de l’Institut Géographique National.

Définir une zone au sein de laquelle l’urbanisation pourrait être limitée et la forme urbaine densifiée a été un second enjeu. Cette zone correspond au périmètre de mise en place du scénario de renouvellement compact envisagé et a été construite autour de deux objectifs : endiguer l’étalement urbain en le limitant et ménager une zone de bonne accessibilité au réseau de transport public pour en favoriser l’usage. L’espace délimité et présenté en bleu correspond à la desserte d’un transport à haut niveau de service (THNS) (CERTU, 2005). Il a été mis en place à partir des fiches horaires du réseau de transports en commun existant et en ne retenant que les stations auxquelles les fréquences de passage des bus et des tramways sont inférieures ou égales à cinq minutes durant les heures de pointe. Un buffer (ou zone tampon) a été appliqué à cette sélection et permet de prendre en compte l’accessibilité piétonnière à ces mêmes stations qui ne doit pas excéder les dix minutes.

Vers une meilleure prise en compte des ouvrages militaires par l’aménagement urbain

Ce travail préparatoire a permis d’évaluer l’intérêt d’une ouverture à l’urbanisation des ouvrages militaires dans le cadre d’un urbanisme renouvelé en s’appuyant sur l’héritage des fortifications. Ceci offre une occasion de réfléchir aux bénéfices d’une forme urbaine plus compacte, limitant les effets néfastes de l’étalement urbain sur le long terme.

Les ouvrages militaires et zones défensives apparaissent comme des espaces d’un grand intérêt en terme d’urbanisation : situés au cœur des villes (à l’instar de celle de Besançon), proches des aménités urbaines et des réseaux de transports en commun existants, ils peuvent constituer des ressources foncières intéressantes. Nous avons pu le démontrer en mobilisant le modèle MUPCity (Tannier et al., 2010) dans le cadre de notre recherche doctorale.

Le recours, dans un second temps, à la plateforme Mobisim (Antoni et al., 2011 ; Hirtzel, 2015) basée un modèle LUTI (Land Use and Transport Integration) permet de simuler une croissance urbaine à moyen terme (2030) et à l’échelle de l’agglomération bisontine, à partir du scénario de renouvellement urbain compact établi. Les résultats de cette modélisation démontrent que les ouvrages militaires peuvent être le support de territoires plus durables. Territoires dont les habitants potentiels favorisent, par exemple, l’usage des modes doux dans leurs pratiques de mobilités quotidiennes.

Notre recherche a permis de mettre en lumière l’héritage des fortifications urbaines, mais montre aussi leur intérêt dans le cadre de l’urbanisation via les réponses qu’ils sont en mesure d’apporter aux gageures de l’aménagement d’aujourd’hui et de demain.

Bibliographie

Antoni J.-P. et al. (2011). Mobisim : rapport final PREDIT, Ministère du développement durable. Besançon : Groupe opérationnel 6, recherche 09MTCV34, rapport technique.

Barde Y. (1996). Histoire de la fortification en France. Paris : Presses Universitaires de France, 125 p. ISBN 9782130479093

Certu (2005). Bus à haut niveau de service : concept et recommandations. Lyon : CERTU, dossiers du CERTU. En ligne, consulté le 21 juin 2014.

Godet O. (2007). Patrimoine reconverti : du militaire au civil. Paris : Scala, ministère de la Défense, 271 p.

Hirtzel J. (2015). Exploration prospective des mobilités résidentielles dans une agglomération urbaine au moyen d’un modèle de simulation multi-­‐agents. Besançon : Université de Franche-Comté, thèse de doctorat en géographie et aménagement des territoires, 515 p.

Tannier C. et al. (2010). « Simulation fractale d’urbanisation. MUP-city, un modèle multi-échelles pour localiser de nouvelles implantations résidentielles ». Revue internationale de géomatique, vol. 20, n°3, p. 303-309.

Références de la thèse

Thierry C. (2015). Ville et fortifications, de l’héritage à la production du territoire urbain. Thèse de doctorat en géographie et aménagement des territoires, Université de Franche-Comté, 393 p.

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    L'auteur.e :

    Clémentine Thierry

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