La ville comme processus. Derrière la forme urbaine, quelles dynamiques ?

- juin 2017


Clément-Noël Douady, urbaniste et architecte, est l’auteur de Lire la ville chinoise, paru en 2011 chez L’Harmattan. Il a également co-écrit avec l’équipe Morphocity1 De la trace à la trame, paru en 2014 (cf. M@ppemonde). Il opte cette fois-ci pour un essai, La ville comme processus, Derrière la forme urbaine, quelles dynamiques ? qu’il publie fin 2016 également aux éditions L’Harmattan.

Cet essai a un double ancrage. D’une part, il s’inscrit dans la catégorie des ouvrages illustrés traitant de la morphologie urbaine (Allain, 2004 ; Bernard, 1990 ; Caniggia, 1994), qui présentent à travers des schémas et des plans de ville les composantes de la forme urbaine, y compris à l’échelle très fine du tissu urbain.

D’autre part, le texte entend décrire les dynamiques urbaines et leur manifestation dans la forme urbaine. Ces dynamiques sont le fruit de plusieurs facteurs tels que l’évolution des besoins humains et sociétaux, les contraintes géographiques, les inventions techniques, etc.

Ce lien entre dynamiques et formes urbaines a depuis longtemps intéressé les géographes (Pumain et al., 1984 ; Pumain, 2006). Le sujet connaît aujourd’hui un regain d’intérêt, notamment grâce à la modélisation informatique (Louail, 2010 ; Moreno, 2009 ; Camacho-Hübner, 2009).

Néanmoins, en abordant la question de la forme urbaine, ces études se cantonnent souvent à l’échelle méso-géographique, sans aborder celle du tissu urbain : rues, places, parcelles…

L’originalité de cet essai est donc d’utiliser les codes (schémas, plans…) et l’échelle des analyses morphologiques (échelle du tissu notamment), dans le but d’explorer le lien entre dynamiques urbaines et forme matérielle de la ville.

Lorsqu’il parle de la forme urbaine, l’auteur se focalise plus particulièrement sur celle du réseau de rues. Il s’expose ainsi à des critiques sur le caractère restrictif de son choix, mais désamorce cela rapidement en expliquant que son objectif n’est pas d’appréhender la ville dans toute sa complexité. Il entend plutôt proposer une première modélisation, très restrictive certes, mais requise selon lui avant l’introduction d’autres paramètres.

De plus, l’auteur introduit par endroits d’autres objets (enclosures, parcellaire, métro…) et couvre une large gamme d’échelles spatiales (allant de la parcelle à l’échelle de l’Europe), ce qui donne à son propos un caractère très englobant.

Enfin, l’auteur envisage son ouvrage comme un recueil de pistes pouvant permettre à un modélisateur (dans le sens informatique du terme) de se saisir du défi que constitue la modélisation de la croissance urbaine.

L’ouvrage est divisé en six chapitres. En introduction, l’auteur explique son choix de rédiger un essai, format qui lui permet de mettre en exergue les réalités urbaines, en tant que professionnel de l’urbanisme actif sur le terrain. Il expose ensuite ses objectifs et énonce un ensemble de précautions et de réserves que requiert son entreprise, réserves qu’il lèvera au fil des chapitres.

Dans le chapitre 1, l’auteur explique que malgré la complexité du fait urbain, l’observation d’un grand nombre de plans de villes laisse entrevoir des éléments reconnaissables. Ces éléments laissent supposer que le processus de croissance urbaine est régi par quelques lois simples et assez générales, qu’il entend, en partie, révéler.

Il commence par décrire, en chapitre 2, les composantes de base du processus de croissance urbaine (répartition de noyaux urbains ; voies de liaison ; réseau local), et les premiers niveaux de complexité qui en découlent.

Dans les chapitres 3 et 4, l’auteur introduit les facteurs géographiques et humains qui viennent interférer avec ce processus de base. Il tente d’être exhaustif en énumérant un grand nombre de cas de figure possibles (selon diverses natures de site, types de gouvernance…).

Dans le chapitre 5, l’auteur fait évoluer ces facteurs dans le temps (évolution technique, rupture de gouvernance…). Il introduit donc des dynamiques urbaines et décrit leur impact sur la forme matérielle de la ville, plus particulièrement sur le réseau de rues. Il illustre enfin son propos par un cas concret, celui de Brive-la-Gaillarde, en chapitre 6.

L’auteur conclut en rappelant que la complexité du fait urbain, qu’il n’a pas tenté de taire à travers son ouvrage, ne doit pas empêcher sa modélisation. En effet, l’objectif d’un modèle n’est pas de reproduire dans le détail toutes les villes du monde, mais plutôt, et c’est ce que l’ouvrage tente d’esquisser, « d’illustrer l’interaction de quelques mécanismes élémentaires repérés dans le processus de développement urbain, et de confronter les images obtenues avec des évolutions urbaines constatées dans la réalité » (p. 119).

Très illustré, l’ouvrage s’adresse facilement à un public d’architectes ou d’urbanistes, mais aussi de géographes. Le style très pédagogique et peu jargonnant peut également convenir à des étudiants ou à un public de non spécialistes.

Les illustrations, très variées, sont localisées à chaque fin de chapitre. Vu la concision des chapitres, cela ne gène pas particulièrement la lecture, mais un renvoi dans le corps du texte à certaines figures aurait été apprécié.

Ces illustrations recouvrent une large échelle spatiale et temporelle ; on passe des enclosures historiques de Pékin (p. 94) au réseau de voies principales à l’échelle européenne (p. 31). Malgré cette diversité, force est de constater que les exemples traités sont en grande majorité français ou chinois. Des références à d’autres contextes auraient sans doute enrichi le caractère englobant de l’ouvrage.

En conclusion, cet essai a le grand mérite de regrouper un grand nombre de connaissances tacites sur les processus de croissance urbaine. Il a également pour intérêt de mettre ces connaissances en regard avec des phénomènes très actuels, tels que celui des gated communities ou des méga-cités. L’auteur ouvre ainsi de nombreuses perspectives de recherche, tant sur les évolutions urbaines passées que sur celles à venir.

Bibliographie

Allain R. (2004). Morphologie urbaine. Géographie, aménagement et architecture de la ville. Paris : Armand Colin, p. 9-92.

Camacho-Hübner E. (2009). Traduction des opérations de l’analyse historique dans le langage conceptuel des systèmes d’information géographique pour une exploration des processus morphologiques de la ville et du territoire. École Polytechnique Fédérale de Lausanne. Thèse de doctorat. En ligne

Caniggia G. (1994). Lecture de Florence. Bruxelles : Institut Supérieur d’Architecture Saint-Luc, 142 p.

Lepetit B.. (1990). « Pierre Merlin (éd.), Morphologie urbaine et parcellaire, Formes urbaines, villes en parallèle ». Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 45, n°2, p. 469-470.

Louail T. (2010). Comparer les morphogénèses urbaines en Europe et aux États-Unis par la simulation à base d’agents. Approches multi-niveaux et environnements de simulation spatiale. Thèse de doctorat. Université d’Évry-Val-d’Essonne.  En ligne

Moreno Sierra D.L. (2009). Une approche réseau pour l’intégration de la morphologie urbaine dans la modélisation spatiale individu-centrée. Thèse de doctorat. Université de Pau et des Pays de l’Adour.

Pumain D. (2006). « Systèmes de villes et niveaux d’organisation ». In P. Bourgine, A. Lesne. Morphogenèse. L’origine des formes, Paris : Belin, p. 239-263. <halshs-00145939>

Pumain D., Saint-Julien T., Sanders L. (1984). « Vers une modélisation de la dynamique intra-urbaine ». L’Espace géographique, vol. 13, n°2, p. 125‑135. En ligne

Références de l’ouvrage

Douady C.-N. (2016). La ville comme processus. Derrière la forme urbaine, quelle dynamique ? Paris : L’Harmattan, 130 p. ISBN 978-2-343-10937-4

Notes   [ + ]

1. Groupe de recherche pluridisciplinaire issu du projet de recherche ANR MoNuMoVi (Modèles numériques de morphogénèse viaire).

    L'auteur.e :

    Ryma Hachi

    Doctorante, UMR 8504 Géographie-cités, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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