Ingénieur producteur de cartes depuis 15 ans, j’enseigne également chaque année la cartographie à des étudiants avancés (L3, Master, doctorants) en sciences humaines. Il s’agit de formations d’une vingtaine d’heures à destination d’un public de non spécialistes (entendu comme non géographes), sociologues, historiens ou archéologues. C’est bien en tant que pédagogue (ce n’est pas un gros mot, il est parfois bon de le rappeler), que j’ai le plaisir de dresser le compte-rendu de ce nouveau manuel de cartographie.
L’ouvrage débute par une brève histoire de la cartographie, abordée à partir à la fois de grands repères ou périodes chronologiques et de descriptions de documents cartographiques emblématiques. S’il est entendu que les auteurs assument pleinement la rapidité de cette introduction historique, on peut regretter l’absence de reproduction de quelques cartes anciennes remarquables ou tout au moins la mention des sites internet qui les compilent – je pense notamment aux dossiers thématiques de la BnF consacrés à la cartographie ou à l’excellent Milestones in the history of thematic cartography, statistical graphics, and data visualization (http://datavis.ca/milestones).
Le manuel se décline ensuite en trois grandes parties. La première et la deuxième traitent logiquement, respectivement de l’information géographique (fond de carte et données attributaires) et du langage cartographique (variables visuelles et traitements statistiques). Les questions essentielles concernant le choix d’un fond de carte sont posées (Projection ? Emprise ? Dégré de généralisation ? Maillage ?), avec un focus sur ce dernier rappelant son rôle de filtre et son influence notable sur « la lecture de l’organisation spatiale d’un phénomène » (p. 48-51). La typologie des données thématiques (qualitatives nominales ou ordinales/quantitatives absolues ou relatives) est clairement présentée, avec les clés permettant de bien distinguer les cas d’ambiguïté. La deuxième partie présente à mes yeux deux originalités louables :
- traiter des variables visuelles en partant des trois types de relations internes aux données thématiques (différentiation, ordre, proportionnalité) ;
- présenter de manière pratique et didactique des solutions cartographiques pour répondre à des situations concrètes : cartographier le temps, cartographier pour comparer, cartographier des typologies, etc.
Enfin, le chapitre consacré aux statistiques et aux méthodes de discrétisation (qui peuvent rebuter certains étudiants) est à mon sens présenté de manière très abordable et synthétique.
La troisième partie intitulée « Au-delà des variables visuelles » traite essentiellement des transformations cartographiques moins courantes (carroyages, lissages, cartogrammes pour exemple) et de l’habillage des cartes ou, selon la conception des auteurs, de la mise en scène des images cartographiques qui « consiste à faire de la carte un véritable objet de transmission de savoir » en racontant une histoire construite (p. 168). Point d’orgue de cette partie, un exercice de style magistral à la Queneau : à partir d’une même donnée thématique, 8 propositions de cartes (figure 1) à la lecture différente qui rappellent la subjectivité du cartographe, sa nécessité d’effectuer des choix mais aussi de s’engager (en restant juste, c’est-à-dire sans manipuler grossièrement les informations) s’il veut construire un objet utile.
Chaque partie est suivie d’un exercice utile de mise en application des notions abordées avec consignes de réalisation détaillées (« Jeu de carte »), pour obtenir par étapes une carte finalisée.
Au corps du manuel s’ajoutent trois appendices :
- Une boîte à outils recensant les logiciels actuels nécessaires ou utiles pour la réalisation de cartes (propriétaires ou issus du domaine libre), du dessin vectoriel au SIG.
- Un inventaire des principaux sites internet proposant des données (fonds de carte ou données statistiques pour la France, l’Europe, le Monde) et un court glossaire des « mots du cartographe ».
- La bibliographie qui, sans être pléthorique, cible les articles et ouvrages incontournables.
Enfin, dans sa forme, l’ouvrage est très agréable à lire ou compulser : style direct et fluide (parfois humoristique), mise en page aérée. Plusieurs focus agrémentent le texte, à vocation parfois « récréative » (« Peinture et anamorphose », « Le mythe de la carte à l’échelle 1:1 », pour exemples), ou pour ajouter un éclairage pertinent sur une notion (« Maillage et bidouillage »). Plus d’une centaine d’illustrations couleurs inédites, clairement conçues, contribuent à la qualité didactique du manuel.
D’aucuns pourraient regretter que certaines dimensions de la cartographie contemporaine soient insuffisamment développées (SIG, qui prennent une part de plus en plus importante dans les cursus) ou manquantes (conception de cartes animées par exemple). Pour ma part, ce manuel place le curseur exactement au bon niveau entre vulgarisation/concision et complexité/exhaustivité, tout au moins pour le public visé. Il répondra aux attentes d’étudiants devant concevoir des cartes, géographes ou non, dès la licence, mais aussi à toute personne curieuse et exigeante désirant comprendre le « dessous des cartes » et s’initier à la cartographie.
C’est l’ouvrage que j’aurais aimé avoir à disposition lorsque j’ai débuté ma mission de formateur (et que, secrètement, j’aurais aimé avoir écrit avant la fin de celle-ci…), dans le sens où il synthétise remarquablement ce qui me semble essentiel pour établir des cartes thématiques justes, pertinentes, efficaces et attrayantes. Ainsi, je peux actualiser ma réponse à une question récurrente de mes étudiants en début d’année : « si vous ne deviez acheter qu’une référence, achetez ce manuel ! ».
Références de l’ouvrage
Lambert N. et Zanin C. (2016). Manuel de cartographie. Principes, méthodes, applications. Paris : Armand Colin, coll. « Cursus : Géographie », 224 p.