Marc Audebert (2017). Géographie générale. Paris : Éditions Allia. ISBN 979-10-304-0750-1
La Géographie générale parue aux Éditions Allia est le fac-similé suivi de la transcription du livre de comptes sur lequel, en 1914, Marc Audebert rédigea et dessina à la plume une Géographie générale. Marc Audebert est un jeune instituteur à Marcilly-sur-Maulne, village d’Indre-et-Loire, lorsqu’il se lance dans ce travail. Sa mobilisation en août 1914 et son décès près d’Ypres en novembre de la même année, interrompent la réalisation du manuscrit qui s’achève prématurément avec le titre de la leçon qu’il prévoyait de consacrer aux glaciers, lacs et forêts. Si la finalité de l’ouvrage ne nous est pas connue, son contenu informe des avancées d’une géographie scolaire dont son auteur, fraîchement sorti de l’École Normale d’Instituteurs de Tours, était très bien informé.
Au moment où Marc Audebert écrit, les programmes scolaires en vigueur pour l’école primaire sont ceux de la loi Jules Ferry sur l’enseignement obligatoire de 1882. Ces programmes ferment le moment fondateur de la géographie à l’école primaire (Chevalier, 2003). De cette période, sont hérités des débats pédagogiques dont Marc Audebert se fait l’écho et dans lesquels il prend position.
Est-ce que la nomenclature doit être première dans les apprentissages en géographie ? Ou bien est-ce qu’elle doit être mobilisée à la faveur de travaux qui privilégient le rapport aux réalités géographiques ? Dans le programme de 1882, l’« explication des termes géographiques (montagnes, fleuves, mers, golfes, isthmes, détroits, etc.) [doit se faire] en partant toujours d’objets vus par l’élève, et en procédant par analogie ». Le texte officiel préconise d’ailleurs que « Les points cardinaux [seront] non appris par cœur, mais trouvés sur le terrain, dans la cour, dans les promenades, d’après la position du soleil ». Ce qui laisse penser que des contenus de géographie, notamment ce lexique, ont été et pourraient continuer d’être l’objet d’apprentissages « par cœur ». Déjà en 1871, dans leur Rapport général sur l’enseignement de l’histoire et de la géographie, Émile Levasseur et Auguste Himly recommandaient aux instituteurs « de ne pas faire apprendre les définitions géographiques, mais de se servir de la géographie du département pour faire comprendre, par des exemples connus de l’élève, ce qu’est un cours d’eau, un confluent, une colline […] » (Levasseur et Himly, 1871, p. 345).
Dans l’introduction de son ouvrage, intitulée De l’enseignement géographique – Généralités, Marc Audebert pose que « l’enseignement géographique était donné, il n’y a pas bien longtemps encore d’une manière froide et ennuyeuse. On abusait de la nomenclature et on s’adressait à la mémoire plutôt qu’à l’intelligence de l’élève ». Aussi, ne place-t-il les éléments indispensables de lexique qu’à la fin de chaque leçon.
Faut-il ou non commencer le cursus de géographie par l’étude de l’espace local ? Le programme de 1882 présente la « Préparation à l’étude de la géographie, par la méthode intuitive et descriptive » en faisant se succéder « 1° La géographie locale (maison, rue, hameau, commune, canton, etc.) », puis « 2° La géographie générale (la terre, sa forme, son étendue, ses grandes divisions, leurs subdivisions) ».
Marc Audebert propose d’imbriquer les deux approches, en commençant par la formation du système solaire pour arriver à l’espace local par la question de l’orientation, puis celle de la représentation de la surface terrestre en plans et en cartes. S’appuyant sur la notion d’échelle, il revient à la géographie générale pour des leçons dans lesquelles alternent la présentation de processus généraux et l’évocation d’exemples locaux, dont certains pris en France. Il conseille que le professeur et les élèves se rendent dans la cour de l’école pour y reconstituer, au moyen de matériaux et d’outils disponibles, par exemple, la formation des dunes, des polders et des cordons littoraux. La démarche est déclinée de façon systématique. Le cours commence par l’expérience conduite avec la participation des enfants. Puis les notions générales sont présentées par le maître, de retour dans la classe, avec le renfort de dessins qu’il trace au tableau, d’images et de cartes, éventuellement d’un appareil à projections lumineuses. Enfin, un résumé permet de fixer ces notions.
Comment Marc Audebert a construit sa position pédagogique ? Nous ne disposons pas de commentaires de l’auteur lui-même ou de travaux permettant de connaître ses sources. Certainement, il s’est appuyé sur ses propres expériences ; tout aussi certainement, il était informé des débats qui ont permis d’installer la géographie au primaire comme une discipline d’innovation pédagogique. On trouvera dans le manuscrit des apparentements avec la pensée de Franz Schrader, géographe, auteur d’atlas et de manuels scolaires, par ailleurs auteur des articles Géographie, Globe et Cartographie du Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson (directeur de l’Enseignement Primaire de 1879 à 1896). En particulier pour la façon de faire se rejoindre l’exigence de développement intellectuel et le plaisir d’apprendre chez les enfants (Chevalier, 2003, p. 210-213). « Le mouvement des dunes, l’action du vent, des tempêtes seront démontrés dans la cour […] L’enfant, ingénieur, constructeur, tempête, orage prendra un vif plaisir à la leçon. Il s’instruira tout en s’amusant… » (Audebert, 1914, p. 111-112).
On pourra replacer les propos de l’instituteur tourangeau dans le fil de ce courant intellectuel qui fait converger une pédagogie de l’observation avec une géographie nouvelle qui fonderait l’organisation de ses contenus sur l’étude des rapports de la nature et des êtres humains dans l’action. Les propos de Paul Vidal de la Blache consacrés à La conception actuelle de l’enseignement de la géographie, lors de la série de conférences données au Musée pédagogique en 1905, sur l’enseignement de la géographie dans les collèges et les lycées, ne sont pas inconnus du jeune instituteur. Il a peut-être d’autant mieux adhéré à ces propos que Paul Vidal de la Blache exprimait également sa confiance dans les facultés naturelles des élèves. « Quand une fois son esprit d’observation aura été éveillé et sa curiosité mise en branle, c’est l’enfant lui-même qui réclamera plus d’explications » (Vidal de la Blache, 1905, p. 204).
Marc Audebert s’adressait-il ainsi à ses collègues instituteurs ? Il fait en tout cas preuve d’une sensibilité pédagogique singulière, qu’à la différence des penseurs pédagogues, des inspecteurs et de géographes que nous venons très succinctement et incomplètement d’évoquer1, il met à l’épreuve des classes. C’est la détermination intellectuelle et l’engagement professionnel de son auteur qui frappe le plus dans cette Géographie générale.
Au-delà de la très grande qualité de l’édition – le fac-similé de cette Géographie générale rend presque palpable la remarquable calligraphie professionnelle et l’iconographie originale réalisée à la plume et aux encres de couleur, cette publication vient rappeler un siècle après la mort de l’auteur, que la géographie était alors et demeure une discipline où l’innovation pédagogique est possible ; peut-être davantage que dans des matières plus corsetées, entre captations politiciennes et fausses querelles orchestrées dans certains médias. Les derniers programmes en date (BOEN spécial n°11 du 26 novembre 2015) du cycle 3 (ou cycle de consolidation : CM1-CM2-6ème), que l’on doit au Conseil supérieur des programmes alors dirigé par le géographe Michel Lussault, accordent une place centrale à l’habiter, à l’étude des « modes d’habiter » et à la compréhension « des relations dynamiques que les individus-habitants et les sociétés entretiennent à différentes échelles avec les territoires et les lieux qu’ils pratiquent, conçoivent, organisent, représentent ». Ce faisant, ils désignent l’enjeu scolaire de la construction d’un rapport au monde par la géographie, enjeu auquel dans un autre contexte scientifique, scolaire et socio-historique, finalement, s’attelait Marc Audebert.
Faire prendre conscience de l’unité de la Terre habitation humaine, et ainsi la construire, est une finalité qui passe aujourd’hui en classe de géographie, dans un climat de forte concurrence des représentations du monde, par d’autres iconographies, par d’autres questionnements sur les « documents » désormais accessibles, par d’autres modes de sortie de la salle de classe ; mais elle requiert, sollicite et rencontre toujours la curiosité et la demande d’explications des enfants.
Références bibliographiques
Chevalier J.-P. (2003). Du côté de la géographie scolaire. Matériaux pour une épistémologie et une histoire de l’enseignement de la géographie à l’école primaire en France. Habilitation à diriger des recherches. Université Panthéon-Sorbonne – Paris I. En ligne
Levasseur E., Himly A. (1871). « Rapport général sur l’enseignement de l’histoire et de la géographie adressé à M. le Ministre de l’Instruction publique et des cultes ». In Bulletin administratif de l’instruction publique, t. 14, n°265, p. 307-348. En ligne
Vidal De La Blache P. (1905). « La conception actuelle de l’enseignement de la géographie ». Annales de Géographie, t. 14, n°75, p. 193-207. En ligne
Notes
1. | ⇧ | Pour appréhender le rôle de ces acteurs pédagogiques, géographes, inspecteurs, et plus largement l’histoire de la géographie du primaire en France, du XVIIIe siècle à nos jours, il faut se référer aux multiples travaux que Jean-Pierre Chevalier leur a consacrés (Chevalier, 2003). |