Identifier des enjeux environnementaux grâce aux chorèmes : retour d’expériences en Poitou-Charentes

- septembre 2017


Résumé

Le raisonnement spatial permet-il l’émergence d’enjeux environnementaux intégrés, prenant en compte la complexité d’un territoire ? Nous verrons d’abord en quoi la Méthode de Diagnostic Partagé Territorial permet d’établir une autre compréhension du territoire par une démarche participative et multithématique s’appuyant sur les chorèmes. Puis, à partir d’un exemple en Poitou-Charentes, nous mettrons en débat l’expression des enjeux environnementaux.

Abstract

Identifying environmental issues thanks to choremes: a look back on Poitou-Charentes

Can spatial reasoning unveil integrated environmental issues while accounting for a territory’s complexity? First, we focus on how the participative approach of the Method of Territorial Diagnosis offers a different understanding of the territory using a participative and alternative approach based on choremes. Then, with the example of Poitou-Charentes, we question this shared expression of environmental issues.

Keywords: choremes, methodology, shared territorial diagnostic, environmental issues, Poitou-Charentes

Resumen

Identificación de los problemas medioambientales mediante coremas: la experiencia en Poitou-Charentes

¿Permite el razonamiento espacial identificar retos medioambientales que consideren la integridad y complejidad de un territorio?. El Método de Diagnóstico Territorial Compartido, mediante un enfoque participativo y multitemático apoyado en los coremas, facilita otro conocimiento del territorio. A través de la experiencia en Poitou-Charentes se debate sobre la identificación de los retos medioambientales.

Palabras clave: coremas, enfoque metodológico, diagnóstico territorial compartido, retos medioambientales, Poitou-Charentes


En France, suite au Grenelle de l’environnement et aux mesures de territorialisation des politiques publiques, la création des Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) a soulevé la question de l’intégration des préoccupations environnementales dans les projets d’aménagement ou de planification à toutes les échelles des territoires. En 2009, la DREAL Poitou-Charentes se saisit de l’élaboration du Profil Environnemental Régional1 (PER) pour se doter d’une méthodologie permettant d’identifier les enjeux environnementaux et les communiquer plus facilement aux porteurs de projets, notamment les collectivités territoriales de son périmètre d’action. Il s’agit alors de mettre à disposition des acteurs locaux (publics ou privés), en amont des projets, plans ou programmes en prévision sur le territoire, les connaissances que possèdent les services métiers de la DREAL sur les thématiques environnementales et, en associant les Directions Départementales des Territoires (DDT) concernées, d’exprimer les enjeux environnementaux majeurs portés par l’État. Nous aborderons ici les expériences menées dans le cadre de la réalisation des déclinaisons territoriales du PER.

L’objectif de la DREAL Poitou-Charentes, en initiant le partenariat avec le centre de recherche et de formation AgroParisTech de Clermont-Ferrand, est donc de communiquer à l’ensemble des porteurs de projet les enjeux environnementaux majeurs auxquels ses services seront attentifs dans les démarches d’aménagement du territoire. Or, si l’action de l’État est généralement structurée de façon sectorielle, l’approche territoriale des enjeux et la production graphique amènent à construire une expression synthétique, intégrée et partagée par les services déconcentrés dans une démarche réflexive pour dire et penser le territoire (Debarbieux et Lardon, 2003). Les deux partenaires développent alors la méthode de diagnostic partagé territorial (Lebourg et al., 2014) basée sur le jeu de territoire (Lardon, 2013) et l’usage des représentations spatiales schématiques ou chorèmes (Lardon et Piveteau, 2002) pour répondre à ces besoins.

Dans cet article, nous posons l’hypothèse que la spatialisation participe à des enjeux environnementaux plus intégrés, abordant ainsi les composantes multiples d’un territoire et ses évolutions. Dans une première partie, nous détaillerons le raisonnement spatial mobilisé dans la méthode de diagnostic partagé territorial et nous expliquerons comment les services de l’État sont incités à dépasser leur expertise sectorielle pour proposer une vision englobante et transversale du territoire à travers l’usage de l’outil chorématique. Dans une deuxième partie, nous analyserons les enjeux environnementaux issus d’un exercice réalisé sur un territoire du Poitou-Charentes pour essayer de dresser une typologie reflétant des enjeux plus ou moins intégrés. Enfin, nous discuterons des propriétés des représentations spatiales schématiques des enjeux environnementaux et des perspectives qu’elles ouvrent pour répondre aux questions identifiées.

Figure 1. Les territoires étudiés.

Figure 1. Les territoires étudiés.

La méthode de diagnostic partagé territorial en Poitou-Charentes

Les applications de la méthode de diagnostic partagé territorial sont menées avec des acteurs variés (DREAL, DDT, communauté d’agglomération), pour divers objectifs (aménagement, prospective,…) et à des échelles allant de la région à la commune. À l’origine, elle est développée dans le cadre de l’élaboration du PER, document de synthèse et d’information relatif à l’environnement. En Poitou-Charentes, celui-ci comprend une analyse à l’échelle régionale et des études infrarégionales appelées « déclinaisons territoriales » dont le but est de favoriser la transmission de la vision de l’État auprès des acteurs locaux. En 2015, trois déclinaisons territoriales ont fait l’objet d’une analyse par les services déconcentrés de l’État avec cette démarche (figure 1). En prenant le cas du périmètre du Schéma de Cohérence du Territoire (SCoT) du Seuil du Poitou et en nous appuyant sur les enseignements d’autres expériences identiques, nous analyserons dans cet article les représentations spatiales schématiques des enjeux environnementaux.

L’itinéraire méthodologique suivi par la DREAL PC et les DDT associées est une approche multithématique, participative et spatialisée pour construire le Dire de l’État, qui est l’expression partagée des enjeux perçus par celui-ci. Selon l’objectif, la souplesse de la méthode permet d’inclure différents profils d’agents (statut, expertise, proximité géographique) dans l’équipe projet qui suit l’ensemble du processus. Celui-ci se divise en cinq grandes étapes :

  • Comprendre le territoire : en collaboration avec les services métiers, quelle que soit l’organisation prévue pour la suite de la démarche, il s’agit de recueillir des données concernant le territoire (indicateurs quantitatifs, cartes SIG, extraits d’études, etc.). Ces données sont ensuite compilées et mises en forme dans des fiches thématiques synthétiques dont le nombre peut varier selon l’exercice.
  • Spatialiser les caractéristiques et dynamiques du territoire : ensemble, les agents représentant les services de l’État font émerger des fiches thématiques une vision synthétique et multithématique du territoire. Cette étape, dite de co-construction, se traduit par la réalisation d’une carte schématique des caractéristiques et des dynamiques s’appuyant sur les chorèmes. Le travail se réalise à l’échelle du territoire d’étude, tout en prenant en compte par une approche multiscalaire les interactions extérieures.
  • Spatialiser les enjeux environnementaux : à partir de la carte des caractéristiques et dynamiques et de leurs connaissances, les agents identifient les enjeux environnementaux majeurs et les représentent sur une nouvelle carte schématique.
  • Partager l’analyse : les résultats des étapes précédentes sont confrontés au regard d’autres agents afin d’être validés, complétés, voire corrigés. Cette étape aboutit à une vision commune et partagée entre les services qui deviendra le Dire de l’État.
  • Porter l’analyse : la vision du territoire co-construite est restituée de façon pédagogique (présentation progressive des résultats) et communicante (visuelle) lors d’une réunion avec les acteurs locaux. Le dialogue qui en découle permet aux services de l’État d’argumenter leurs priorités au regard des politiques publiques.

L’itinéraire méthodologique vise une appropriation territorialisée des données et des enjeux du territoire par l’ensemble des acteurs dans une dynamique d’apprentissage collectif (Lardon et al., 2008). Cette appropriation se réalise dans les temps participatifs d’échanges et de validation, en groupe réduit lors des réunions de co-construction, en groupe élargi lors du partage avec l’ensemble des experts thématiques et lors du portage auprès des autres acteurs du territoire. Outre cette approche participative, la démarche se caractérise par l’utilisation d’un langage graphique particulier favorisant le raisonnement spatial. En effet, l’usage des représentations spatiales schématiques ou chorèmes permet d’articuler différentes sources d’informations (géographiques, statistiques, dires d’experts, etc.), tout en prenant de la distance pour favoriser l’émergence des idées-forces. Les chorèmes deviennent alors un outil de médiation, un langage commun facilitant le dialogue et l’hybridation des savoirs entre les différents services. C’est aussi un outil de communication lorsqu’il s’agit de porter les résultats auprès des acteurs concernés.

Cette démarche est donc un cadre au sein duquel les agents de l’État travaillent ensemble et échangent leurs connaissances et leurs priorités pour produire conjointement un Dire de l’État synthétique et partagé. Le passage à un raisonnement spatial et à un discours territorialisé entraîne de nouvelles modalités de travail pour les agents (Lardon et al., 2013) que nous allons détailler.

La construction du raisonnement spatial

Un dispositif au service d’une vision partagée multithématique

Les services métiers des DDT et de la DREAL, dont le domaine d’action est centré sur une thématique précise (par exemple : le service Nature, Eau, Paysages ou le service Infrastructures et Transport), ont l’habitude de contribuer sur leurs champs d’expertise et participent rarement à des approches transversales. C’est pourquoi le Dire de l’État reste encore souvent une juxtaposition des différentes visions (Dorian et al., 2013). Les services déconcentrés de l’État possèdent aussi des services généralistes de connaissance du territoire chargés de centraliser ces données spécialisées. Cela se traduit notamment par le développement de systèmes d’information géographique (SIG) qui produisent de la donnée géolocalisée et permettent la mise en partage des informations. Toutefois, cette analyse spatiale peut conduire à l’accumulation de données techniques et sectorielles plus difficilement exploitables dans une approche globale d’un territoire. Aussi, le Service Connaissance des Territoires et Évaluations (SCTE) de la DREAL PC cherche à aborder les territoires de façon plus transversale en mobilisant la dimension spatiale de la méthode de diagnostic partagé territorial. Les étapes de co-construction et l’usage des représentations spatiales favorisent l’appropriation par les agents d’un service métier des problématiques concernant des thématiques desxquelles ils ne sont pas forcément coutumiers. On perçoit une certaine appréhension des participants à prendre le crayon, à trier et à schématiser les informations. Toutefois, au cours de la démarche, ils s’approprient cette nouvelle façon d’exprimer leurs connaissances.

Les chorèmes participent à la production d’une vision d’ensemble des caractéristiques et dynamiques du territoire. Lors des étapes de co-construction, où les participants prennent position sur le message qu’ils considèrent comme important, la spatialisation et la schématisation supposent une mise en discussion des représentations de chaque agent sur ce qui compose le territoire. L’expression du discours est facilitée par l’approche chorématique qui propose un langage graphique communicant et pédagogique (Cheylan et al., 1990). Les agents sont porteurs d’expertise qu’il s’agit de croiser, mais aussi de leur propre connaissance du territoire qu’ils peuvent proposer au débat. Cette multiplicité d’angles de vue permet d’aborder la complexité du territoire autour d’une discussion collective pour en extraire une vision partagée par l’ensemble des participants qui se traduit par la représentation spatiale schématique. Cette démarche participative répond à la volonté de produire un Dire de l’Etat plus pertinent.

Au cours du dispositif, les participants passent donc de données sectorielles chiffrées, cartographiées ou analysées, à l’expression par les chorèmes d’une approche synthétique et transversale du territoire, sans contraintes d’échelle dans la représentation. Plus on avance dans l’itinéraire méthodologique, plus les représentations spatiales sont intégrées, car elles traduisent un enrichissement de la réflexion formée au fur et à mesure des confrontations entre les participants.

Objets spatiaux et dynamiques territoriales

En collaboration avec la DDT de la Vienne et AgroParisTech, le SCTE produit une déclinaison territoriale du PER en choisissant un périmètre d’étude qui correspond au futur SCoT du Seuil du Poitou. C’est un espace vaste (1/3 de la surface du département) partagé entre urbain (incluant la capitale départementale) et rural (cultures céréalières et polyculture-élevage). Les nombreuses dynamiques en œuvre sur ce territoire en mutation contribuent à l’apparition de nouveaux enjeux environnementaux que l’État souhaite porter auprès des acteurs locaux afin qu’ils s’en saisissent et les intègrent à leurs réflexions. La méthode de diagnostic partagé territorial est donc mobilisée par les différents services de la DREAL et de la DDT qui coconstruisent la représentation schématique des caractéristiques et dynamiques du territoire (figures 2 et 3), puis celle des enjeux environnementaux majeurs avant d’organiser une réunion de portage.

Figure 2. Un territoire avec une grande diversité naturelle exposé à des pressions.

Figure 2. Un territoire avec une grande diversité naturelle exposé à des pressions.

Figure 3. … et une forte dynamique de la population, des activités et des infrastructures.

Figure 3. … et une forte dynamique de la population, des activités et des infrastructures.

La lecture de la carte schématique des caractéristiques et dynamiques produite en co-construction apparaît trop complexe. Le diagnostic est alors divisé en une première carte davantage tournée vers les espaces naturels et agricoles, et une deuxième carte qui aborde les dynamiques anthropiques. Les deux représentations sont cependant indissociables et ce choix ne s’est fait qu’à la fin du dispositif pour faciliter le portage. Les structures et les dynamiques présentes dans le diagnostic font apparaître des espaces où les thématiques sont susceptibles d’entrer en conflit et de devenir des enjeux environnementaux majeurs. C’est le cas, nous le verrons, de l’étalement urbain qui s’étend aux zonages classés en Natura 2000.

La décomposition de la carte schématique des caractéristiques et dynamiques en un tableau chorématique (figure 4) permet de préciser les objets géographiques et les transformations identifiés sur le territoire et d’apprécier la richesse et la complémentarité des données représentées. Ce tableau reprend les sept principes organisateurs de l’espace (Piveteau, Lardon, 2002) :

  • Maillage : comment est découpé le territoire ?
  • Quadrillage : comment est drainé et irrigué le territoire ?
  • Hiérarchie : ce qui organise le territoire ?
  • Contact : comment se différencient les espaces ?
  • Attractivité : quelles sont les polarisations prépondérantes ?
  • Tropisme : quelles sont les circulations préférentielles au sein du territoire ?
  • Dynamique territoriale : Comment bouge et se transforme le territoire ?
Figure 4. Tableau chorématique de la carte des caractéristiques et dynamiques réalisée par les services de l’État.

Figure 4. Tableau chorématique de la carte des caractéristiques et dynamiques réalisée par les services de l’État.

Chaque principe organisateur du tableau chorématique répertorie un ou plusieurs éléments du diagnostic. On retrouve autant de caractéristiques (les zonages administratifs que sont les sites Natura 2000 par exemple), que des dynamiques en cours (l’extension des zones urbaines ou l’intensification des pratiques agricoles transformant le territoire). La répartition de ces composantes de la carte schématique de notre cas d’étude atteste d’une analyse riche du territoire et d’une diversité des thématiques abordées.

Il semble donc que la production schématique permette de dépasser l’approche sectorielle pour proposer une lecture de l’organisation et des évolutions du territoire plus transversale. C’est à partir de cette vision et des priorités de l’État en matière d’environnement que les participants vont par la suite identifier et spatialiser les enjeux environnementaux du territoire.

Expliciter et représenter des enjeux environnementaux

Un outil pour faciliter l’expression et la représentation des enjeux

L’outil du tableau chorématique des enjeux (Cot et al., 2014) essaie de lever les difficultés de spatialisation et de représentation des enjeux environnementaux afin de rendre opérationnelle la méthode de diagnostic partagé territorial. Cette étape d’explicitation des enjeux demande une montée en compétence des agents autour d’un langage graphique commun et une nouvelle façon d’appréhender les territoires et les thématiques environnementales. Qu’est-ce qu’un enjeu ? La première difficulté lors de l’exercice sur le Seuil du Poitou a été de définir collectivement ce qu’est un enjeu. Dans le dictionnaire2, un enjeu est « ce que l’on peut gagner ou perdre ». Pour le Commissariat Général du Développement Durable, rattaché au ministère de l‘environnement, de l’Énergie et de la mer auquel appartiennent les DREAL, un enjeu environnemental est une « question d’environnement qui engage fortement l’avenir, ou valeur qu’il n’est pas acceptable de voir disparaître ou se dégrader » (CGDD, 2010). Si ces deux définitions font sens, identifier des enjeux environnementaux sur un territoire complexifie la tâche.

Dans le cadre du raisonnement spatial proposé par la méthode, nous n’écartons pas les notions de dynamique dans le temps et de risque que sous-tendent les définitions précédentes. Cependant, nous insistons sur la dimension spatiale pour identifier l’enjeu. Les expériences vécues en Poitou-Charentes nous ont conduits à définir un enjeu territorial comme l’interaction entre plusieurs objets géographiques, soumis ou non à des dynamiques, que des acteurs décident de prendre en compte pour valoriser, maintenir ou limiter une dynamique en cours sur le territoire.

L’outil d’aide à l’émergence des enjeux permet, sous la forme d’un tableau, de traduire un concept flou pour les participants en un cadre qui donne une définition spatiale plus claire. Pour rendre plus accessible cette définition, lancer la réflexion des participants et expliciter les consignes lors de l’exercice de co-construction de la carte schématique, nous avons élaboré et inséré son usage dans la méthodologie. Cet outil s’appuie sur la décomposition du raisonnement spatial et engage à identifier les objets géographiques et leurs relations. Il s’agit donc de privilégier une entrée par le territoire, celui qui a fait sens pour les participants lors de l’étape de co-construction du diagnostic dans le choix des principales structures et évolutions de ce territoire.

Le tableau chorématique des enjeux se divise en trois parties :

  • l’identification des objets géographiques qui interagissent et composent l’enjeu ;
  • l’identification de la volonté des acteurs quant à ces objets géographiques (favoriser, maintenir, atténuer) ;
  • la traduction schématique (figuré) et l’explicitation claire (texte) de la légende de cet enjeu.

L’outil vient en appui de la co-construction. Il vise à faciliter l’expression des enjeux (formuler l’enjeu) et leur spatialisation (où se trouve l’enjeu et comment le représenter schématiquement) et tente d’apporter des clés de lecture pour structurer la réflexion et les débats. Les participants peuvent s’en saisir au cours de l’étape s’ils éprouvent des difficultés à identifier et spatialiser les enjeux environnementaux.

Le tableau a été conçu après l’exercice sur le Seuil du Poitou. Il a donc été complété par la suite afin de préciser le discours sur les enjeux environnementaux identifiés collectivement. Il a alors fait partie d’un processus itératif permettant une analyse plus poussée de la vision partagée du territoire concerné.

Figure 5. Tableau chorématique de la carte schématique des enjeux environnementaux du Seuil du Poitou.

Figure 5. Tableau chorématique de la carte schématique des enjeux environnementaux du Seuil du Poitou.

Le tableau chorématique des enjeux a depuis été testé dans d’autres exercices, il apporte quelques pistes de réflexion sur la particularité des enjeux environnementaux produits avec l’approche spatiale. Tous les enjeux environnementaux découlent de l’association d’au moins une caractéristique (occupation du sol, captages AEP3…) et d’une ou plusieurs dynamiques (rupture de barrage, étalement urbain…) ou absence de dynamique pensée comme telle. Peut-on alors supposer que plus l’enjeu est composé d’un nombre important d’objets spatiaux et de dynamiques, plus il s’agit d’un enjeu environnemental intégré, spécifique au territoire ?

Tentative de typologie des enjeux environnementaux

Un enjeu environnemental se traduit spatialement par une référence nécessaire à ce qui se joue sur le territoire, c’est-à-dire à son organisation spatiale et ses transformations. Le croisement multithématique par l’approche spatiale offre une vision des interactions entre les différentes composantes territoriales. C’est de ces confrontations entre deux ou plusieurs phénomènes territoriaux que peuvent émerger des espaces de tensions, déjà existants ou susceptibles d’exister dans le futur et qui deviennent après discussion entre les agents des enjeux environnementaux. La carte schématique réalisée dans l’étape précédente (figures 2 et 3) permet donc de déterminer les caractéristiques et dynamiques potentiellement porteuses d’enjeux. C’est à partir de celle-ci que les participants peuvent spatialiser les enjeux sur une carte dédiée.

Figure 6. Carte schématique des enjeux environnementaux.

Figure 6. Carte schématique des enjeux environnementaux.

En analysant tant l’énoncé de l’enjeu que son figuré, la carte des enjeux environnementaux du Seuil du Poitou ci-dessus (figure 6) nous amène à classer les représentations spatiales en trois types :

  • Les enjeux thématiques relèvent d’une dynamique ou d’une caractéristique territoriale qui peut être un enjeu en soi. C’est le cas des risques naturels (enjeu n°2) ou des infrastructures de transports (enjeu n°3) qui deviennent source de problématiques environnementales et sont susceptibles d’avoir des conséquences sur d’autres composantes territoriales.
  • Les enjeux plus intégrés sont issus du croisement de plusieurs objets spatiaux et dynamiques territoriales. Ce sont ces interactions qui créent l’enjeu. La « préservation de la qualité des eaux souterraines et superficielles » est un enjeu environnemental, car le territoire connaît des ressources en eau fragiles (identification de captages AEP) soumises à des pressions externes, notamment agricoles (intensification des pratiques). De même, l’enjeu des connectivités écologiques (enjeu n°7) émerge de la transformation de l’occupation du sol et des pratiques agricoles sur des espaces naturels et agricoles souvent remarquables. Ces enjeux environnementaux correspondent à des préoccupations nationales portées par l’État, en ce sens ils se retrouvent dans de nombreux territoires, mais l’approche spatiale les rend spécifiques au territoire concerné. Ainsi, le choix du positionnement des chorèmes d’enjeux environnementaux sur la carte schématique offre une hiérarchisation spatiale des enjeux et apporte de nouvelles données à l’analyse du territoire.
  • Les enjeux de « prévention » qui témoignent d’une vision à long terme et territorialisée des enjeux environnementaux du territoire. C’est le cas de la zone à l’est du territoire qu’il s’agit de préserver pour ses divers atouts alors qu’elle ne semble pour l’instant subir aucune évolution susceptible de modifier ces caractéristiques. Apparu à la fin de l’étape de co-construction entre agents de l’État, nous émettons l’hypothèse que cet enjeu environnemental a pu être identifié grâce à l’approche spatiale et globale proposée par la méthode. En effet, cet espace a pu ressortir par contraste avec le reste du territoire soumis à de multiples dynamiques.

Dans cet exemple sur le Seuil du Poitou, les enjeux environnementaux ne sont pas encore totalement pensés de manière intégrée. Certaines thématiques comme l’agriculture pourraient être des objets intégrateurs reprenant la complexité des interactions entre caractéristiques et dynamiques territoriales, ce qui se traduit parfois dans la légende par un libellé détaillé de l’enjeu (enjeu n°9). La prise en compte par les participants de plusieurs caractéristiques et dynamiques dans l’identification d’un enjeu environnemental semble donc favorable à une approche plus spécifique des enjeux d’un territoire. Cependant, l’effort d’hybridation des thématiques et de synthèse reste encore à approfondir. De fait, l’itinéraire méthodologique tente d’articuler au lieu de segmenter, de penser le territoire comme un système aux enjeux sectoriels, mais aussi transverses.

Discussion et perspectives

Des objets de médiation et de communication au service d’une meilleure intégration des enjeux ?

La traduction spatiale de l’analyse du territoire par les chorèmes oblige à une explicitation du raisonnement des participants. Identifier les enjeux environnementaux à partir de la carte schématique des caractéristiques et dynamiques et remplir le tableau chorématique des enjeux suppose d’expliciter les interactions perçues entre les différents objets géographiques ainsi que de débattre sur ce qui fait enjeu pour les services de l’État. Cela demande une approche plus globale et oblige à décider ensemble pour produire un « dire » partagé entre les différentes parties prenantes. Pourquoi choisir la préservation de telle caractéristique plutôt que la valorisation de telle dynamique ? Souvent, l’énonciation des enjeux découle des directives nationales portées par l’État, mais dans le cadre de la méthode, le débat entre les agents des services déconcentrés place les questions environnementales à une échelle locale. L’argumentation de chaque décision se reporte donc aux spécificités de ce territoire et permet l’élaboration d’une vision partagée des enjeux environnementaux plus facile à porter auprès des acteurs. La représentation spatiale devient alors un outil pédagogique puisqu’elle crée les conditions d’un dialogue avec les acteurs locaux sur la position de l’État.

Certaines expériences menées mettent en avant l’intérêt de la connaissance du territoire vécu dans la définition des enjeux. En effet, la présence dans les séances de co-construction de chargés de mission de collectivités territoriales ou d’agents de l’État vivant et travaillant depuis longtemps sur le territoire étudié a permis de montrer l’enrichissement non négligeable que pouvait apporter cette dimension qualitative aux débats et aux résultats. On peut donc supposer qu’au-delà de la portée du raisonnement spatial, et de la richesse des échanges induits par l’approche participative de la méthode, ce critère de connaissance subjective du territoire participe à une vision plus intégrée des enjeux environnementaux.

Des enjeux révélateurs de leviers d’action ?

Au regard des enjeux environnementaux, il apparaît que les représentations spatiales font émerger des leviers d’action potentiels dont les acteurs locaux pourraient se saisir.

Prenons un exemple de carte schématique des enjeux où s’exprime la nécessité de limiter la consommation des espaces naturels par l’étalement urbain. La représentation et la formulation de l’enjeu, bien que clairement définies, ne facilitent pas l’élaboration d’une action propre au territoire. Pour contrôler l’extension urbaine, on cherchera par exemple à densifier les bourgs, action à priori applicable à l’ensemble des territoires concernés par cet enjeu. En revanche, la représentation spatiale schématique permet de repérer les interactions entre les enjeux du territoire et les possibles combinaisons pour proposer des actions répondant à plusieurs enjeux. On admet qu’un enjeu environnemental est composé d’objets géographiques. S’il est suffisamment intégré, nous pouvons supposer que ses composantes sont le support de politiques territoriales et permettent d’imaginer des actions spécifiques. Ainsi, un enjeu environnemental sur la « conservation des zones d’intérêt écologique » identifié sur la base des espaces boisés du diagnostic et à proximité d’un pôle urbain en croissance peut devenir le socle d’un levier d’action potentiel. Les acteurs locaux peuvent se saisir de ces deux enjeux afin d’intégrer la conservation de l’espace naturel à une réflexion sur le développement urbain.

Figure 7. Exemple d’actions issues de l’identification d’enjeux spatialisés.

Figure 7. Exemple d’actions issues de l’identification d’enjeux spatialisés.

Cependant, certains chorèmes d’enjeux environnementaux restent d’ordre diffus, immatériel ou abstrait (améliorer la gouvernance, adapter les espaces au changement climatique…). La difficulté de territorialiser des enjeux concernant l’ensemble d’un territoire rend leur prise en compte moins évidente. Les chorèmes n’atteignent-ils pas alors leurs limites ? Comment représenter de façon chorématique ce type de problématiques ? Dans les expériences réalisées sur le Profil Environnemental Régional, les enjeux que nous qualifierons de « diffus » ne sont en général pas cartographiés. Le choix de les représenter reste cependant débattu et ils sont évoqués dans le discours. Ainsi, ils produisent des échanges au sein des services de l’État et participent au discours porté auprès des acteurs locaux. Dans ce cas, la démarche de représentation spatiale ne permet pas une discrimination de l’espace, ni l’émergence d’objets géographiques supports de leviers d’action, mais elle conserve un rôle de débat et de médiation dans la réflexion transversale et territorialisée entre les participants.

Conclusion

L’itinéraire méthodologique du diagnostic partagé territorial aborde la complexité d’un territoire par l’espace et la participation. Les représentations spatiales schématiques des enjeux environnementaux articulent les caractéristiques et dynamiques que les agents des services déconcentrés de l’État jugent majeures. Expliciter et spatialiser ces enjeux s’avère toutefois un exercice compliqué et on peut alors retrouver une simple déclinaison d’enjeux environnementaux portés au niveau national. Une connaissance fine des problématiques locales dont disposent les acteurs ancrés sur le territoire semble donner une plus-value à une vision intégrée développée par l’approche spatiale. En effet, celle-ci fait le lien entre les directives nationales et les spécificités locales. D’abord par la localisation géographique des chorèmes d’enjeux sur une carte, ensuite par l’émergence d’enjeux environnementaux plus intégrés, car issus d’une réflexion sur les phénomènes territoriaux en cours et à venir mis en avant par la carte schématique du diagnostic.

Lors de l’expérience au sein de la DREAL Poitou-Charentes, les chorèmes d’enjeux ont mis en débat les questions environnementales que chaque service métier projetait sur le territoire afin d’aboutir à l’expression d’un Dire de l’État. Ce discours sur les enjeux environnementaux majeurs identifiés par les services déconcentrés sur un territoire participe à un nouveau rapport entre l’État et les acteurs locaux. C’est une occasion pour les services de l’État de changer leur façon de partager et de porter leur vision auprès des collectivités territoriales tout en facilitant l’appropriation des priorités nationales. La poursuite de la réflexion sur des enjeux environnementaux plus intégrés soulève la question de l’opérationnalité : dans quelle mesure les acteurs locaux s’appuient-ils sur les enjeux environnementaux représentés par l’État pour définir et formuler le plan d’action pour leur territoire ?

Bibliographie

Commissariat Général au Développement Durable (2010). Profil environnemental régional, état des lieux et éléments de méthode. Études et Documents, n°25, ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie.

Cheylan J.-P., Deffontaines J.-P., Lardon S., Thery H. (1990). « Les chorèmes : un outil pour l’étude de l’activité agricole dans l’espace rural ». M@ppemonde, n° 4/90. En ligne

Debarbieux B., Lardon S. (2003). Les figures du projet territorial. Éditions de l’Aube/DATAR, « bibliothèque des territoires ». ISBN 2-87678-910-8

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Lardon S., Dumont A., Lacroix C., Lebourg M.-N. (2013). « Itinéraire méthodologique de diagnostic partagé des enjeux environnementaux. Comment accompagner le changement dans l’ingénierie territoriale d’État ? ». Colloque SAGEO, Brest, 14 p.

Lardon S., Caron P., Raymond R., Brau F., Bronner A.-C., Giacomel G. (2008). « Jeu de construction de territoire. Usage des représentations spatiales dans une démarche participative ». In Lardon S., Roche S. (dir.), Représentations spatiales dans les démarches participatives. Production et usages. Revue internationale de Géomatique, vol. 18, n°4.

Lebourg M.-N., Lardon S., Cot C., de Nayer A., Lacroix C., Dumont A. (2014). La méthode de diagnostic partagé : comprendre et analyser un territoire avec les représentations spatiales schématiques pour produire le « Dire de l’État ». AgroParisTech Clermont-Ferrand et DREAL Poitou-Charentes, 4 p.

Cot C., Lardon S., Johany F., Lebourg M.N. (2014). Le tableau chorématique des enjeux : un outil pour exprimer les enjeux environnementaux de l’État. Colloque OPDE, Yverdon-les-Bains, Suisse, 23-24 octobre.

Dorian C., Helias A., Malfilatre Y., Meaux M.-L., Simon B., Gomel C., Raymond-Mauge I. (2013). « Qualité du “dire” de l’État au regard des enjeux du Grenelle dans les domaines de la planification spatiale, du logement et des transports ». Rapports, Conseil Général de l’Environnement et du Développement durable, n°008293-01, ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie, 138 p.

Piveteau V., Lardon S. (2002). « Chorèmes et diagnostics de territoire: une expérience de formation ». M@ppemonde, n°68. En ligne

Notes   [ + ]

1. Le profil environnemental constitue un cadre de référence pour l’intégration de l’environnement dans les politiques publiques dans un objectif de développement durable. Les modalités de son élaboration sont définies par les DREAL selon le contexte et les objectifs régionaux. Site : www.profil-environnemental-poitou-charentes.fr
2. Dictionnaire Larousse.
3. Adduction d’eau potable

    Les auteur.es :

    Cécile Cot

    AgroParisTech

    Alain De Nayer

    DREAL Nouvelle-Aquitaine, site de Poitiers

    Guillaume Delattre

    DREAL Nouvelle-Aquitaine, site de Poitiers

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