De nombreux enjeux socio-économiques et environnementaux sont associés aux transferts hydro-sédimentaires qui s’organisent dans les hydrosystèmes de faibles énergies, depuis les parcelles agricoles jusqu’aux cours d’eau (pertes en sol, diminution de la fertilité des sols, pollution diffuse, crues turbides, etc.). Si les conditions d’initiation de ces transferts sont bien connues à l’échelle de la parcelle agricole, les dynamiques d’écoulements qui se produisent sur les versants, c’est-à-dire entre les parcelles et les cours d’eau, restent, quant à elles, mal connues. Cette méconnaissance est particulièrement importante dans les petits hydrosystèmes du nord-ouest de la France, où la mosaïque paysagère, et notamment la présence de réseaux linéaires (haies, routes, fossés, etc.), contraint la dynamique purement topographique des écoulements. L’ensemble de ces linéaires met en effet en place des dynamiques complexes, rarement étudiées, dont la prise en compte est pourtant fondamentale en vue d’une gestion durable des ressources environnementales.
Le besoin d’outils à même de traduire cette complexité en des indices simples et transposables est par ailleurs devenu important pour les gestionnaires dont l’application des mesures découlant des lois européennes (DCE, LEMA, GEMAPI) se heurte à la nécessaire mise en place des démarches systémiques et intégrées. Pour répondre à ces attentes, un outil, développé à partir d’une plateforme de simulation multi-agents (SMA), a été créé. En s’appuyant sur les capacités des SMA à faire émerger la dynamique globale d’un système à partir des interactions des entités qui le composent, il est possible de reconstruire le parcours des écoulements de surface et d’obtenir des indices d’analyse spatiale capables de mesurer les effets de la structure paysagère. Le modèle, ne nécessitant que peu de données en entrée, a été appliqué sur différents bassins aux caractéristiques paysagères distinctes et offre des résultats intéressants pour mieux appréhender les relations entre écoulement de surface et paysage. Sans revenir sur le fonctionnement de ce modèle, nous présentons ci-dessous l’un des indices phares qu’il est possible d’obtenir à partir des simulations. Cet indice est obtenu en comparant les temps de parcours des écoulements au sein d’un bassin versant auquel on retire puis rajoute les entités linéaires du paysage. L’indice permet ainsi d’évaluer la prégnance des structures linéaires paysagères sur les distances à parcourir par les écoulements pour rejoindre l’exutoire du bassin investigué. Les résultats proposés ici ont été obtenus à partir de simulations réalisées sur un petit bassin versant bocager situé dans le département du Calvados (17,6 km², Normandie, France).
Les simulations montrent que la présence de haies, fossés, routes et chemins modifie le parcours des écoulements de surface et par conséquent les distances hydrologiques entre les zones d’émissions et les cours d’eau. 60% de ces écoulements sont ainsi impactés par la présence d’un linéaire. Majoritairement (45%), les linéaires augmentent les distances de parcours entre les zones de production et le cours d’eau. Concrètement, cela se traduit par la présence de haies ou de fossés qui prennent en charge les écoulements et leur imposent une direction. Cela peut être le fait d’un seul réseau, suffisamment structurant dans le paysage ou bien de la combinaison des effets de plusieurs réseaux, qui, connectés les uns autres, allongent les distances au cours d’eau. Dans 15% des cas, les réseaux linéaires diminuent la distance hydrologique. Les écoulements sont pris en charge par des entités (fossés ou talus) qui « court-circuitent » la pente topographique pour être acheminés de « manière plus directe » dans le cours d’eau. Dans ce cas, la présence de réseaux bien structurés dans l’espace facilite la prise en charge et l’évacuation vers le cours d’eau des écoulements et ce de manière bien plus efficace que ne le propose la topographie. La distance au cours d’eau étant raccourcie, les probabilités de retrouver des sédiments ou des particules polluantes dans les cours d’eau sont augmentées. 25% de la superficie du bassin ne sont, en revanche, pas affectés par la présence de réseaux linéaires. Cela s’explique par l’absence de réseaux entre les espaces d’émission et le cours d’eau (dans la majorité des cas il s’agit des espaces situés à proximité du cours d’eau). Enfin, 15% des écoulements émis ne rejoignent pas l’exutoire du bassin au cours des simulations car ils sont infiltrés en amont d’une haie (déconnectivité hydrologique).
En comparant ces résultats (cartographie de l’évolution des distances à l’exutoire) avec la cartographie des densités de linéaires sur le bassin, des contrastes saisissants apparaissent. Sur les focus 1 et 2 (carrés sur les figures), la densité de réseaux linéaires est similaire (inférieure à 0,2 km.ha-2). Les conséquences sur les écoulements sont en revanche bien différentes. Les linéaires augmentent la distance à l’exutoire dans le focus 1 alors qu’ils la diminuent dans le second. L’augmentation dans le focus 1 est liée à la présence d’un fossé orienté perpendiculairement à la pente qui dévie significativement les écoulements, alors que dans le focus 2, le fossé est orienté dans le sens de la pente. Dans le focus 3, la densité de réseaux, bien que légèrement plus élevée (entre 0,5 et 1 km.ha-2) est assez faible. Cependant l’orientation des réseaux par rapport à la pente et leur structuration dans l’espace modifient les distances au cours d’eau, qui augmente fortement. C’est l’un des espaces sur le bassin versant pour lequel les distances sont autant augmentées. Dans les focus 4, 5 et 6, la densité de réseau est supérieure à 1 km.ha-2 mais là aussi, l’impact sur les distances à l’exutoire est variable. Celles-ci sont soit augmentées, soit diminuées, et parfois les espaces sont même déconnectés.
Cette cartographie et ces différents exemples illustrent les propos évoqués par de nombreux auteurs (Mérot et al., 1998 ; Delahaye, 2002 ; Baudry et Jouin, 2003 ; Douvinet, 2008 ; Viel et al., 2014) : plus que la densité c’est l’organisation et la structuration dans l’espace des réseaux qui impactent le plus les écoulements de surface. Si la densité de réseau dans un espace augmente les probabilités de modification des dynamiques spatiales d’écoulement, c’est en intégrant l’orientation et la structuration des entités linéaires dans l’espace que l’on peut juger de l’efficacité des réseaux.
Dans cette approche en 2D, les effets des pentes et de la nature des réseaux ne sont pas pris en compte. Ainsi, les écoulements qui se déplacent le long d’une haie ou dans un fossé bitumé possèdent la même vitesse (dictée par les itérations de la simulation). Cette information spatiale peut ainsi être amenée à évoluer lors de l’intégration des vitesses d’écoulement. Dans certains espaces dont la distance hydrologique est ici jugée augmentée cela peut se traduire par un temps de parcours plus rapide si la rugosité du revêtement est nulle (exemple : buse bétonnée). À l’inverse, certains espaces ont, dans cette approche, une distance hydrologique qui diminue, mais si les réseaux concernés présentent une forte rugosité (fossés enherbés) le temps de parcours peut être rallongé. Cette cartographie n’est ainsi qu’une première étape vers un outil de diagnostic plus fin qui intégrerait vitesse de déplacement et sédimentation. Cependant, les premiers résultats confirment non seulement la pertinence des SMA dans l’analyse des dynamiques spatiales des écoulements de surface dans les petits bassins anthropisés mais surtout montrent le rôle important de la structuration, de l’orientation et de la position des entités paysagères dans l’espace.
Bibliographie
Baudry J., Jouin A. (2003). De la haie aux bocages. Organisation, dynamique et gestion. Paris : Inra Éditions, 435 p. ISBN 2-7380-1050-4
Delahaye D. (2002). Apport de l’analyse spatiale en géomorphologie. Modélisation et approche multiscalaire des risques. Mémoire HDR, vol. 1, Université de Rouen, 259 p.
Douvinet J. (2008). Les bassins versants sensibles aux « crues rapides » dans le Bassin Parisien. Analyse de la structure et de la dynamique de systèmes spatiaux complexes. Thèse de doctorat, Université de Caen Basse-Normandie, 381 p.
Mérot Ph., Gascuel-Odoux C., Walter C., Zhang X., Molenat J. (1999). Influence du réseau de haies des paysages bocagers sur le cheminement de l’eau de surface. Revue des sciences de l’eau, vol. 12, n°1, p. 23-44.
Viel V., Delahaye D., Reulier R. (2014). « Impact de l’organisation des structures paysagères sur les dynamiques de ruissellement de surface en domaine bocager. Étude comparée de trois petits bassins versants bas-normands ». Géomorphologie, vol. 20, n°2, 13 p.
Références de la thèse
Reulier R. (2015). Impact de la structure paysagère sur les dynamiques spatiales des transferts hydro-sédimentaires : approche par simulation multi-agents. Thèse de doctorat de géographie, Université de Caen Normandie.