Cartographie du Marseille d’un héros de roman policier (Total Khéops de J.-C. Izzo)

- juillet 2017


Résumé

Cet essai cartographique des pratiques spatiales d’un citadin fictionnel s’inscrit dans le cadre d’une analyse géo-littéraire du roman Total Khéops de J.-C. Izzo. La carte y est envisagée comme un appui de l’analyse et un moyen de visualiser des aspects de l’expérience spatiale du personnage. Au-delà des problèmes que pose la traduction d’une écriture textuelle en carte, une question centrale nous semble être celle du traitement d’informations spatiales dispersées dans le récit auxquelles on surimpose une logique géographique par la carte. Encore plus problématique est la représentation des ambiances urbaines par une cartographie conventionnelle.

Abstract

Cartography of Marseille by the protagonist of a crime novel (Total Khéops, J.-C. Izzo)

Abstract: This cartographical essay on the spatial practices of a fictional city-dweller is part of a geo-literary analysis of the novel Total Khéops by J.-C. Izzo. In this novel, the map is considered an analytical tool and a way to visualise certain aspects of the character’s spatial experience. In addition to the problems that arise from the translation of textual writing to a map, a central issue seems to be the treatment of spatial information scattered throughout the story, on which a geographical logic is superimposed by a map. Even more problematic is the representation of urban atmospheres using conventional cartography.

Keywords: Mapping Literature, Experience of Space, Geography and Fiction, Crime Novel, City, Marseille, Izzo

Resumen

Cartografía de Marsella a través del protagonista de una novela policiaca (Total Khéops de J.-C. Izzo)

Resumen: se trata de un ensayo cartográfico que analiza, mediante el estudio geo-literario de la novela Total Khéops de J.-C. Izzo el comportamiento espacial de un personaje, donde el mapa se convierte en una herramienta para el análisis y visualización de las experiencias territoriales del protagonista. Por ello, hay que conocer el tratamiento y jerarquización de la información geográfica del relato para la correcta transposición de los textos a una representación cartográfica. Sobre todo cuando en un mapa temático convencional hay que representar valoraciones y ambientes urbanos.

Palabras clave: Cartografía literaria, prácticas territoriales, Geografía de la ficción, novela policiaca, ciudad, Marsella, Izzo.


Ce que l’on désigne sous l’appellation de « cartographie littéraire » recouvre des intérêts pour la carte très différents selon qu’elle relève d’une poétique (la carte dans une œuvre littéraire) ou d’une critique littéraire (l’atlas de la littérature). C’est cette perspective que l’on a choisie dans le cadre non pas d’une géographie de la littérature telle que Franco Moretti ou, à sa suite, Barbara Piatti, l’ont profondément renouvelée, mais d’une « géo-critique » qui vise à montrer la contribution de la littérature aux savoirs de la géographie, particulièrement à la compréhension de la spatialité1. C’est précisément l’expérience spatiale du citadin fictionnel de Total Khéops2 qui fait l’objet de l’essai cartographique présenté ici.

Or, la cartographie d’un récit littéraire est problématique, non seulement parce qu’elle traduit un langage verbal en un langage graphique, mais parce qu’elle rapporte le territoire d’un personnage de fiction à la représentation conventionnelle du monde factuel. Même si l’on admet que l’univers de la fiction puise dans le monde réel, encore faut-il que la structure du récit et sa sémantique justifient la mise en cartes. La profusion des toponymes et des itinéraires d’un héros vraiment très mobile, comme c’est le cas dans Total Khéops, y invite assurément. Mais l’on objectera que le parcours est une figure attendue du genre policier, et que les contraintes génériques influencent la représentation de l’espace. On voit mal dès lors ce que nous apprendrait leur traduction cartographique. Une telle objection, cependant, renvoie moins à la mise en cartes du récit qu’à la possibilité d’une lecture géographique de l’espace romanesque.

Par ailleurs, comment traduire graphiquement la littérarité d’une œuvre, le jeu des sonorités, des rythmes et des images qui produit la signifiance d’un texte et participe à sa signification ? La réponse viendrait-elle de la cartographie artistique telle que la pratique, par exemple, La Traversée, l’atelier québécois de géopoétique, qui réunit des artistes et des chercheurs en sciences sociales et humaines ? Cherchant à renouveler l’écriture conventionnelle de la carte en intégrant des matériaux recueillis in situ, des textes poétiques, des photographies, des éléments sonores, ils élaborent des cartes géopoétiques afin de transcrire leur expérience sensible des lieux. Ces cartes ne sont donc pas des traductions d’œuvres littéraires, mais des créations artistiques. Elles proposent « une représentation graphique singulière, personnelle, qui se réapproprie les conventions pour faire advenir une perception esthétique des lieux », écrit Rachel Bouvet (2015) à propos des réalisations de Suzanne Joos. Elles « ne se bornent pas à représenter un espace, mais expriment plutôt un récit, une sensation vécue » (Bouvet, 2015). La perspective que nous nous sommes fixée – préciser et visualiser en les cartographiant les expériences spatiales d’un personnage de roman – nous a fait préférer le langage conventionnel d’une cartographie « classique »3 au langage d’une cartographie artistique.

Dans ce roman explicitement ancré dans la réalité marseillaise, la figuration de la ville parcourue et décrite par le héros pose des difficultés méthodologiques qui ne sont peut-être pas toutes spécifiques d’une cartographie littéraire. En effet, si l’on cesse d’opposer le fictionnel, confondu avec l’imaginaire, au factuel, le territoire du personnage de Total Khéops, en tant qu’il est un citadin, peut être représenté sur un plan de la ville. Pour autant, quel éclairage littéraire ou géographique apporte la représentation cartographique d’un parcours fictionnel ? A-t-elle une valeur heuristique, comme l’affirme Franco Moretti à propos des cartes qu’il dessine du Paris de Balzac ? On s’efforcera de répondre à ces questions dans le commentaire critique qui accompagne les cartes présentées dans cet article. Une première série de cartes vise à délimiter l’espace de la pratique citadine, en reportant tous les lieux de Marseille que le héros narrateur évoque (il y est ou il y est allé, quelque chose s’y passe ou s’y est passé, il en sait et en dit quelque chose) ainsi que les trajets dont la précision permet qu’ils soient représentés (figures 1 à 6). En localisant les parcours et les lieux cités, on a cherché à repérer si une logique géographique guidait l’énoncé des indications spatiales fournies au lecteur. Un deuxième ensemble de cartes s’attache à montrer la compétence géographique du citadin de la fiction (figures 7 à 9). Enfin, pour traduire graphiquement la géographie sensible du Marseille de Jean-Claude Izzo4, est présentée une ébauche de cartographie sensible (figures 10 à 12)5.

Avant de présenter la façon dont la carte s’inscrit dans notre approche géocritique du roman d’Izzo comme outil de l’analyse, on apportera un bref éclairage sur la structure spatiale de ce récit qui légitime le recours à sa traduction cartographique (première partie). Dans une seconde partie, on proposera des cartes qui cherchent à visualiser des aspects de l’expérience spatiale du personnage.

Des cartes comme appui de l’analyse géo-littéraire

Une première lecture du roman laisse pressentir le rôle central que la ville y joue. Son analyse vise à préciser si et comment l’espace structure le texte ; sa mise en cartes vise à mesurer la consistance géographique de l’espace littéraire.

Un roman structuré par l’espace

Dans Total Khéops, le récit policier est la forme romanesque qui permet le déploiement d’un texte sur et pour Marseille6. La ville n’y est pas un décor se déroule l’enquête, même si le modèle du genre policier imprime sa marque à quelques évocations de l’espace7 ; elle est l’objet de la quête du héros qui redécouvre la ville en un parcours qui s’apparente à un voyage. Présent dans tout le texte au travers des évocations du port (p. 45-47, p. 270), de la rade (p. 348), des calanques (p. 50, p. 52), de rues à l’ambiance exotique (p. 110-111)8, le voyage définit l’identité de Marseille, donnée même comme le terme de tout voyage puisqu’elle est « l’unique utopie du monde » (p. 287). Il apparaît aussi en des points significatifs du récit pour qualifier les deux espaces emblématiques de la ville : le quartier historique du Panier, contigu au Vieux-Port (prologue), la calanque des Goudes (épilogue), le premier condensant la mémoire collective, le second représentant le modèle paysager de la ville et, par ses cabanons, le modèle récréatif populaire (Roncayolo, 1990).

Par cette figuration de la ville comme un voyage, l’écrivain rend possibles un regard et un discours sur la ville. Un discours qui détourne les stéréotypes spatiaux génériques pour contrer l’image de Marseille comme ville du crime9, en produisant de nouveaux lieux communs qui la « ré-enchantent »10, un discours à la fois de défense de son identité11 et de la légitimité de l’écrivain à prendre la parole sur/pour la ville12. Un regard qui invite à redécouvrir la ville, à réapprendre à la voir par la médiation d’un citadin qui la parcourt et l’éprouve. Ainsi, dès l’incipit, le lecteur est-il plongé dans la ville, plus précisément en ses lieux de plus grande intensité, là où se reconnaît son identité : aux premiers mots de Total Khéops, par le personnage déposé au pied du Panier, le lecteur pénètre dans ses ruelles. Et au moment de refermer le livre, comme le héros, il est absorbé dans la contemplation de la baie de Marseille. L’espace est la ligne directrice du roman, ce dont témoigne sa composition en séquences spatio-temporelles13 qui correspondent à la découverte progressive de la ville, quand le découpage en chapitres coïncide partiellement avec le progrès de l’intrigue et, souvent, avec le surgissement d’impressions sensorielles, en début et/ou en fin de chapitre (chapitres 3, 5, 6, 9, 10, 12 et 13).

Aussi, loin d’être la métaphore du cheminement intellectuel du détective dans son effort d’élucidation du crime, le parcours est ce qui permet la description de la ville, et son analyse en tant que pratique de l’espace est légitime. Où et comment chemine le personnage est un choix qui n’est pas déterminé par les contraintes génériques. En effet, ses trajets, en relation parfois ténue avec l’enquête14, apportent plus d’indices sur Marseille que sur le crime, dessinant l’espace de vie d’un personnage qui s’interroge sur l’avenir de sa ville, et l’observe, la qualifient et l’interprètent où qu’il soit. Dans la logique du récit policier, la description de l’espace — des trajets comme des lieux étapes du parcours — n’est pas nécessaire au déroulement de l’action. Or, les itinéraires au cours desquels l’espace traversé est décrit — le plus souvent par un repérage précis des lieux, parfois par des notations sensorielles qui tendent à créer une atmosphère —, les pauses sur les parcours qui introduisent un commentaire sur un lieu, les parcours en acte et en pensée produisent une accumulation de notations spatiales15 sur la ville. Une image de Marseille se construit ainsi tout au long du roman dans les itinéraires qu’emprunte le héros et les lieux qu’il rencontre au cours de son enquête.

Quant à l’activité policière du personnage, elle ne joue guère sur ses pratiques de citadin, à quelques exceptions près. Rien de surprenant. Le crime se produit de façon indifférenciée dans toute la ville : dans le centre ou dans les cités périphériques, dans les beaux quartiers ou dans le quartier populaire du Panier, dans un lieu animé, le quartier de l’Opéra, ou à l’écart de la ville. La géographie du crime et de l’enquête est une géographie de la ville16. Les lieux de l’enquête policière coïncident avec les lieux d’une expérience citadine ordinaire. Le Vieux-Port, à cet égard, est significatif : sa fonction romanesque de lieu de rencontre dans le contexte de l’enquête coïncide avec sa fonction urbaine. La présence de cafés et de restaurants, le mouvement et l’animation du quartier, la position centrale dans la ville – caractères énoncés par le narrateur – en font un lieu accessible, un espace public et anonyme. De même, la topographie du Panier, son dédale de ruelles, d’impasses, de traverses, de passages, d’escaliers, est à la fois un modèle paysager (le village perché méditerranéen) et un modèle spatial de l’action policière (un labyrinthe idéal qui permet la fuite [p. 59] ou qui permet de piéger la proie [p. 38]).

En bref, les parcours du personnage dans la ville sont le vrai sujet d’un récit qui présente Marseille comme territoire à explorer. Il y a là matière à retenir l’attention du géographe et à légitimer une cartographie de l’espace littéraire pour en mesurer la consistance géographique.

La consistance géographique de l’espace littéraire

Une question méthodologique soulevée de façon récurrente dans la littérature portant sur le mapping (Maleval et al., 2012) est celle du choix pertinent du fond de carte et de l’échelle. Dans le cas de Total Khéops, la ville décrite se référant clairement au Marseille contemporain de l’écriture (les années 1990), n’importe quel fond topographique actuel pouvait être choisi, à ceci près que la traduction fidèle du récit des lieux et des parcours aurait exigé de sélectionner exclusivement les indications spatiales données par le roman, d’en exclure par exemple le tunnel qui débouche sur le Vieux-Port ou les voies ferrées qui aboutissent à la gare St-Charles. Pour que l’image de Marseille soit identifiable, particulièrement par un lecteur peu familier de cette ville, le choix a été fait de conserver des éléments structurants du territoire marseillais (le trait de côte, la tache urbaine, les principaux axes) même s’ils ne sont pas toujours nécessaires à la lisibilité de la carte, comme le montre la figure 1, construite à partir des seuls toponymes littoraux qui suffisent à dessiner le trait de côte.

Figure 1. Les toponymes littoraux dessinent le trait de côte.

Figure 1. Les toponymes littoraux dessinent le trait de côte.

Par ailleurs, les deux modes d’exploration de la ville qui caractérisent la pratique du héros, des trajets souvent peu précis qui semblent couvrir le territoire marseillais et des micro-parcours détaillés dans le centre, ont rendu nécessaires des cartes d’échelles différentes : la carte de Marseille et un plan du centre. Le plan présente l’inconvénient d’éliminer des caractéristiques topographiques données par le texte sur quelques espaces comme le quartier du Panier. La carte ne permet pas de localiser les toponymes extérieurs à la ville, cités par le héros ; mais elle est propre à représenter sa pratique de la ville.

En cartographiant les toponymes et les parcours, force-t-on le texte par un effet de lecture géographique ou révèle-t-on, au sens photographique, les préférences spatiales du personnage ? L’orientation nord-sud des parcours, parallèles au littoral, dont le texte donne des indices significatifs, mais dispersés17, est rendue manifeste par la carte (figure 2). L’échelle de la carte la valorise et, plus encore, l’assemblage des séquences sur une même carte. À côté des trajets qui dessinent une traversée du territoire marseillais (figure 2), les parcours du centre-ville, souvent précis, sont ceux d’un citadin qui aime à cheminer dans une ville qu’il connaît (figure 3). Ces deux modes d’exploration de la ville ne distinguent pas le citadin du roman d’un citadin ordinaire. Et que les blancs dominent sur la carte du Marseille de Total Khéops n’a rien de surprenant. L’espace pratiqué au quotidien est discontinu, sauf à imaginer une enquête méthodique de la ville. Nous ne fréquentons dans la ville que « quelques quartiers ou fragments de quartier disséminés au gré des activités morcelées » et « nous n’avons aucune prise sur la totalité urbaine », écrit J.-F. Augoyard (1979). Les parcours du centre-ville le montrent bien, circonscrits à quelques rues et quartiers qui forment l’espace de vie du héros et coïncident avec des types d’espaces urbains : quartiers historiques du Panier et du Vieux-Port (séquence 1), quartiers centraux de la vie nocturne (séquence 3), rues du commerce exotique (séquence 4), par exemple. Mais si la carte Le cheminement dans le centre-ville (figure 3) visualise assez bien le caractère labyrinthique d’un espace aux multiples accès, dont le parcours est réitéré, elle ne montre pas son ambivalence d’espace à la fois répulsif (un motif littéraire associé au Panier) et attractif. Pas plus qu’elle ne permet de figurer la modalité de la pratique spatiale, le rythme du cheminement, l’attention du marcheur à l’ambiance des lieux qu’il parcourt, ni la façon dont il qualifie ces lieux.

Figure 2. Une traversée du territoire marseillais.

Figure 2. Une traversée du territoire marseillais.

Figure 3. Le cheminement dans le centre-ville.

Figure 3. Le cheminement dans le centre-ville.

La polarisation de l’espace que mettent en évidence ces cartes est attendue. Si l’on élimine les cités périphériques, on a là l’image que pourrait donner de la ville un dépliant touristique, encore que la répétition des parcours dans le quartier du Panier (séquences 1, 4, 5, 7) manifeste une forme d’expérience spatiale qui s’écarte de la pratique ordinaire du touriste. Cependant, le double tropisme de Marseille, une ville entre terre et mer, que montre l’analyse du texte, apparaît mal sur la carte Le Marseille de Total Khéops, une ville entre terre et mer (figure 4). Le choix d’agréger les toponymes permet de révéler les préférences spatiales du citadin à l’intérieur de la ville (les types de quartiers qu’il cite/qu’il fréquente), mais sous-évalue l’attraction qu’exercent sur lui les espaces maritimes. En effet, tout ce qui se rapporte au milieu maritime n’est désigné que par un petit nombre de toponymes, mais qualifié par un champ lexical varié. À titre d’exemple, la Joliette est citée deux fois seulement dans tout le roman, mais évoquée par quinze mots qui appartiennent au domaine portuaire : ferry, darse, port, paquebot, croisière, fret, môle, bord de mer, hangar, bateau, quai, escale, bassin, digue, large, auxquels s’ajoutent des toponymes relevant du même champ lexical : Ajaccio, Bastia, Alger, Gênes, île de Beauté, Corniche (p. 45-46). Avec la figure 5, construite à partir de l’importance descriptive des lieux – évaluée en nombre de lignes – et de l’orientation de la description, on a voulu représenter la diversité du regard porté sur l’espace urbain. Une précision s’impose sur la distinction opérée entre les deux types descriptifs, « catégorisation sociologique » et « interprétation géographique ». Dans le premier cas, l’évocation des lieux est dominée par des scènes de nature sociale et ethnique et la description se réduit presque à des commentaires sociologisants. Dans le second cas, ce que nous avons qualifié « d’interprétation géographique » correspond à des évocations qui mettent en jeu le rôle de l’espace dans la caractérisation sociale des lieux (ou leur transformation) : l’évocation de la Canebière dont la dimension sociale est inscrite dans la dynamique urbaine (la rénovation et la spécialisation commerciale) et dans la temporalité du lieu (de ses pratiques et de son ambiance, décrites dans le passé et le présent du récit) en est un exemple. Mais, par ce choix cartographique, on valorise la dimension thématique de la description au détriment de son organisation interne ou de sa relation avec d’autres descriptions du récit. L’évocation des cités, par exemple, est dominée par des commentaires sociologisants, mais elle débute par une brève notation descriptive qui fait de ce type d’espace un contre-modèle paysager, en rupture avec l’urbanité marseillaise : « Et au loin la mer. L’Estaque et son port. Comme un autre continent » (p. 64). Et l’image que donnent les chapitres 2 et 3 est moins stéréotypée qu’il n’y paraît18 si l’on rapporte les « cités » au Panier de jadis19. Le centre et la périphérie apparaissent alors comme deux modalités de spatialisation des immigrés dans la ville, mises en regard par le truchement des personnages. Néanmoins, en simplifiant la tonalité des descriptions – par la typologie descriptive de la figure 5 –, on donne à voir le prisme changeant du regard porté sur la ville, paysager ou patrimonial ou interprétatif, en bref orienté différemment en chacun des quartiers parcourus et décrits.

Figure 4. Le Marseille de Total Khéops, une ville entre terre et mer.

Figure 4. Le Marseille de Total Khéops, une ville entre terre et mer.

Figure 5. Les thèmes descriptifs de la ville.

Figure 5. Les thèmes descriptifs de la ville.

La traduction d’une écriture textuelle en carte(s) pose une autre question, celle du traitement d’informations spatiales dispersées dans le récit auxquelles on surimpose une logique géographique par la carte. Pour le dire autrement, en figurant sur une carte les lieux cités dans le récit, on établit entre ces lieux des relations, de contiguïté ou de connectivité, qui ne sont pas nécessairement dans l’ordre de la fiction (si elles ne sont pas explicitement formulées par le citadin fictionnel), tout comme elles ne sont pas nécessairement dans l’ordre de la pratique d’un citadin authentique. La figure 6 illustrera cette remarque critique. D’une part, en représentant les toponymes de rues par des lignes et en les reportant sur un plan de ville (dont la trame viaire n’a pas été redessinée)20, on donne à voir un parcours continu de la ville, qui se limite pourtant à quelques axes (surlignés en rose) ; d’autre part, on connecte par le dessin des lieux que le texte énonce sans les mettre en relation : la rue Montgrand, par exemple, citée hors du contexte descriptif du quartier de la Préfecture, est intégrée au quartier par la carte, conformément à la trame viaire de Marseille. De fait, l’écriture cartographique dit autre chose que l’écriture textuelle, exhibant des relations spatiales, figurant une situation quand le texte décrit un cheminement.

Figure 6. Les trames du centre-ville : lieux cités, lieux parcourus.

Figure 6. Les trames du centre-ville : lieux cités, lieux parcourus.

Des cartes pour visualiser l’expérience du citadin de la fiction

Dans cette seconde série de cartes, l’accent est mis sur l’expérience spatiale du personnage : sa compréhension de la ville et sa sensibilité paysagère. La ville romanesque coïncidant (relativement) avec la ville réelle, on a fait le choix de représenter la spatialité du citadin fictionnel en respectant le tracé conventionnel de la carte de Marseille, ce qui permet de se conformer au choix descriptif d’un roman dont la précision toponymique fournit au lecteur une sorte de carte de reconnaissance de la ville21.

La compétence spatiale du citadin fictionnel

Localiser, pour un géographe, ce n’est pas seulement dire « où c’est », mais « en quel milieu, avec quoi, dans quel tissu de relations, de voisinages et de déterminations » (Brunet et al., 2009). « Localiser est immédiatement relativiser. C’est attirer l’attention sur le fait que ce qui se passe ici ne se passe pas nécessairement ailleurs, que cela pourrait se passer différemment ailleurs. » (Brunet, 2001). Autrement dit, la géolocalisation des toponymes d’un récit, à laquelle se réduit parfois la cartographie littéraire, ne répond pas à la question « où ? », sinon en termes de position, de repérage des coordonnées des lieux. Mais, dira-t-on, l’écrivain et son personnage ne sont pas géographes. Sans doute. Les préférences spatiales du héros de Total Khéops, sa capacité à se situer dans l’ensemble de la ville, à savoir où il est/où il va, sa propension à décrire les lieux en relation avec d’autres lieux et la ville dans ses relations avec le monde, en bref, tout son comportement de citadin manifeste pourtant une compétence spatiale qu’une carte de localisation absolue ne représente pas.

C’est précisément cette compétence que veulent montrer les schémas cartographiques qui suivent (figures 7 à 9), par lesquels il ne s’agit plus de figurer l’espace cité et parcouru par le citadin de la fiction, mais la signification géographique de sa pratique de la ville et de son discours sur la ville. La schématisation cartographique relève, on le sait, d’une démarche interprétative qui permet de mettre en évidence la structure et la dynamique des espaces étudiés que l’on représente. Dans le cas présent, même si l’on s’appuie sur le texte d’Izzo pour figurer la connaissance que son personnage a de la ville, son aptitude à s’y retrouver et à en saisir les enjeux, ce que l’on cartographie apparaît sans doute comme une interprétation au second degré, puisque la compétence spatiale du personnage, traduite ou révélée par les cartes, procède de l’interprétation d’un lecteur géographe. Voyons les choses un peu différemment : les attributs du personnage, la consistance de sa pratique de l’espace, de son regard et de ses jugements sur la ville, sont une construction de l’écrivain ; l’attitude « géographique » que l’écrivain a attribuée à son personnage, sans la désigner ainsi certes, mais en la justifiant, dans l’économie du récit, par sa connaissance familière de la ville et son inquiétude face à ses transformations est dans le roman, et c’est ce que les cartes veulent mettre en évidence. Elles figurent donc bien l’interprétation, ou, si l’on préfère, le regard d’un citadin (fictionnel) en prise avec la/sa ville.

La figure 6 montrait déjà combien la pratique du héros de Total Khéops dessine un centre-ville structuré par des axes : ce sont les avenues et les rues qu’il parcourt à pied, qu’il décrit, qu’il relie par ses trajets. En cartographiant la géographie vécue de ce personnage (figure 7), on rend visible que la ville, sous son regard, n’est pas un puzzle où se juxtaposeraient des lieux non reliés, mais qu’elle est structurée (par des axes et des repères), polarisée, différenciée. « L’intensité de sa pratique comme de sa description dessine une aire de polarisation forte (le Panier, le Vieux-Port, le cours Estienne d’Orves22, les rues commerçantes situées au sud de la Canebière) où ses trajets sont dessinés précisément, qu’il fréquente le jour et parfois la nuit. Une aire d’attraction plus faible englobe des quartiers qu’il connaît de façon moins familière, où ses trajets apparaissent plus flous comme celui qui va du cours Julien à la Plaine. […] À l’inverse, un espace péricentral est connu de façon précise : c’est le quartier de la Belle de Mai réanimé par la culture. Cette polarisation différenciée doit peu à une pratique singulière, mais les parcours commentés du personnage la révèlent nettement » (Rosemberg, 2014).

Figure 7. La géographie vécue de Fabio Montale.

Figure 7. La géographie vécue de Fabio Montale.

On aura noté que, dans cette géographie vécue, l’espace est à la fois orienté et interprété, qu’il est lu selon deux grammaires qui sont irréductibles l’une à l’autre, mais « se partagent nos pensées d’espace [de sorte que] nous passons de l’une à l’autre dans notre vocabulaire comme dans nos comportements » (Moles, Rohmer, 1998, p. 31). L’espace est orienté par les préférences du citadin fictionnel, qui se manifestent dans ses parcours, ses regards, ses commentaires : la ville est pour lui un espace familier et apprivoisé, dans lequel il s’oriente. Ses préférences dessinent des directions (Canebière-Vieux-Port, par exemple), identifient des repères et des quartiers (les deux forts, la Préfecture), établissent des connexions (République-Panier-Vieux-Port). Le mouvement du personnage — la direction de ses pas et de ses pensées — révèle une compréhension de la ville que la figure a seulement traduite. De même, la figure 8 intitulée « Différenciation sociale de l’espace central » transcrit graphiquement les propos interprétatifs du personnage. La fidélité de la carte au roman d’Izzo se lit dans la légende, les citations du texte étant traduites en termes géographiques. Bien sûr, la figure ne sélectionne, dans la description que le personnage fait de la Canebière, que les qualifications spatiales et réunit des qualifications produites en deux passages du roman : le héros, assis à la terrasse d’un café, regarde l’avenue et pense à la rambla qu’elle fut jadis (p. 207-209) ; déambulant dans la grande rue piétonne de Marseille, la rue St-Ferréol, il songe à la frontière sociale23 que constitue la Canebière (p. 268). Mais l’interprétation de cet espace procède bien du héros narrateur : un lieu mort, laissé aux Arabes, une grande friperie (p. 207-208) ; implicite frontière entre le Nord et le Sud de la ville (p. 268). Pour autant, dans la mesure où les termes géographiques ne sont pas de l’auteur du roman, mais des auteurs de la carte, attribuer au personnage une compréhension géographique de la ville (de son centre en l’occurrence) semble exagéré. Précisons que sa compréhension ne vient pas d’une analyse raisonnée, elle est dans l’ordre de l’intuition, ce qui ne l’invalide pas24. Et l’on observera que les jugements du personnage portent tous sur des lieux où se nouent des enjeux : le port, le Panier, les espaces centraux au nord de la Canebière, là où s’exercent des transformations et des tensions qui remettent en cause l’identité portuaire de la ville au profit d’une identité métropolitaine25.

Figure 8. Différenciation sociale de l’espace central.

Figure 8. Différenciation sociale de l’espace central.

On pourrait encore montrer que la compétence spatiale du personnage se manifeste à une autre échelle lorsqu’il inscrit la ville dans l’ensemble des relations qu’elle entretient avec le monde : la Provence, la Méditerranée, les Amériques et l’Afrique (figure 9). L’identité de la ville est un fil rouge du récit : ville du voyage, ouverte sur l’ailleurs ; ville du brassage, accueillante aux déshérités ; ville qui résiste aux transformations en cours par sa vitalité culturelle. Ce sont les indices de cette identité que la figure 9 réunit pour visualiser la représentation des interdépendances de Marseille avec le monde, telle qu’elle est indiquée par le texte26.

Figure 9. Marseille, un pont entre Orient et Occident.

Figure 9. Marseille, un pont entre Orient et Occident.

Reconnaissons pourtant que cette schématisation cartographique (figures 7 à 9) laisse insatisfait. Sa visée démonstrative exhibe des significations le plus souvent dispersées dans le texte, si l’on excepte les descriptions de la Belle de Mai ou de la Canebière qui parlent directement au lecteur géographe. L’objection majeure n’est pas là. Ces cartes n’intègrent pas la diversité des regards sur un même lieu (partiellement montrée avec la figure 5). On voit mal comment figurer, par exemple, le portrait multiple du Panier qu’en donnent les six parcours descriptifs : un labyrinthe, une île, une citadelle propice à la fuite ou au piège, un haut lieu de la mémoire sociale, un quartier en cours de gentrification. Sauf à produire autant de cartes que de parcours descriptifs. On pointe là un trait important de l’écriture cartographique. La lisibilité d’une carte exige une économie de signes qui interdit l’abondance sémantique que s’autorise un texte. C’est pourquoi la géographie vécue du héros de Total Khéops (figure 7), peut sembler lacunaire, intégrant peu la dimension sensible de l’expérience. Or, même si elle n’est suggérée qu’en brèves notations, elle est une composante incontournable du récit.

L’expérience sensible de la ville

À moins d’emprunter la voie des cartes artistiques, la représentation graphique de l’expérience paysagère ou, si l’on veut, des ambiances urbaines27, nous semble problématique. En effet, elle impose d’inventer une sémiologie graphique qui puisse rendre compte à la fois de la concrétude des lieux, sans laquelle il n’est pas d’expérience sensible, et du rythme propre de l’expérience où se mêlent aux perceptions présentes des réminiscences sensorielles ou culturelles, comme les très nombreuses références musicales et culinaires associées au cheminement du citadin de Total Khéops28.

Malgré la parcimonie descriptive du texte, on a tenté de visualiser l’identité sensorielle de différents quartiers ou rues en réunissant les qualifications collectées dans l’ensemble du texte29 (figure 10). Le double tropisme terre-mer, qui animait la pratique spatiale du personnage (cf. La consistance géographique de l’espace littéraire), se retrouve dans son contact sensible avec le monde qui s’éprouve de façon intense en des lieux riches en qualités sensibles, parce qu’ils sont eux-mêmes un contact entre des milieux géographiques (les calanques des Goudes, de Samena et du Vieux-Port). À l’inverse, dans les « cités », les sensations sont limitées parce qu’il n’y a rien : ni ombre, ni arbre, seulement la chaleur, le soleil et pas d’horizon. L’absence ou la présence de ressources aptes à éveiller l’émotion esthétique (esthésique et affective) différencie les lieux. Contrastant avec les « cités », l’ancien quartier des immigrés (le Panier) est saturé de notations sensorielles où dominent les odeurs répulsives, les contrastes de lumière, de volume, d’aspect. Les ambiances sont diverses dans la ville, la parcourir c’est traverser des milieux sensoriels contrastés, c’est accomplir un voyage, à l’instar du parcours exotique de la rue d’Aubagne. Si la figure 10 vise à montrer l’importance de l’ambiance dans l’identité d’un lieu, la figure 11 veut mettre en évidence la variation de l’expérience sensorielle dans le temps du parcours. Seules les sensations qui relèvent de l’atmosphère (lumière, chaleur) ont été retenues ; elles n’identifient pas des lieux, mais sont toujours spatialisées. C’est en quelque sorte un parcours sensoriel dans la ville qui est donné à voir, en même temps que l’identité atmosphérique de la ville. Donné à voir ? Une carte où domine l’écriture textuelle conserve-t-elle l’efficacité de l’image ?

Figure 10. Ambiances.

Figure 10. Ambiances.

Figure 11. Parcours sensoriel.

Figure 11. Parcours sensoriel.

C’est la question inverse que pose la cartographie d’une description paysagère. La richesse sémantique d’un texte et la signifiance que créent le rythme, les sonorités et le réseau d’images peuvent-elles s’inscrire dans une carte ? La figure 12 permet de préciser ce que la traduction cartographique d’un texte ne prend pas en charge, même dans le cas de descriptions paysagères pauvres comme celles de Total Khéops. Ainsi, ce paysage de la baie de Marseille vu en position dominante, à partir de lieux très proches, la pointe d’Endoume (au prologue), Malmousque (au dernier chapitre), décrit en des termes très voisins, est-il représenté par le même signe sur les cartes (vue sur la rade, vue de la rade). Or, la première évocation paysagère a une tonalité ironique (« Marseille cinémascope »), confirmée plus loin dans le récit (« Marseille n’est pas une ville pour touristes. Il n’y a rien à voir »), qui est absente de la seconde. La sémiologie graphique « classique » ne permet pas de différencier les deux vues paysagères ; la carte, sans le texte qu’elle traduit, ne montre qu’une vue, non pas un paysage.

Figure 12. Vues paysagères.

Figure 12. Vues paysagères.

Pourtant, la figure 12 a son intérêt. Réunissant l’ensemble des descriptions de la rade, elle visualise le rôle majeur du site dans l’imaginaire urbain et le rôle du regard, qu’il vienne de la terre ou de la mer, qu’il vienne du citadin ou du voyageur (« ils garderaient le souvenir »), dans la construction de cet imaginaire. Le paysage de la rade, qui condense l’identité d’une ville entre terre et mer30, répond à la définition du paysage comme « structure d’horizon31 » : il incarne une ville ouverte sur l’ailleurs, en mettant en jeu le regard d’un observateur qui intègre le regard de l’autre (vue sur le port/sur la ville à l’entrée du Vieux-Port). De même, tous les toponymes, maritimes ou terrestres, qui composent ce paysage sont des repères qui permettent de reconnaître la ville, pour qui la découvre, et de s’y reconnaître, pour qui l’habite. Repères visuels et identitaires, ce sont des lieux remarquables par leur position, non pas seulement les lieux attendus d’un portrait convenu de la ville : ils configurent la rade et l’entrée du Vieux-Port, ils indiquent la route vers Marseille et vers le large. Ce que la lecture du texte d’Izzo suggère, la carte le révèle.

Conclusion

Les différents types de cartes élaborées pour représenter les itinéraires d’un citadin fictionnel, ses préférences et ses compétences spatiales, les modalités sensibles de son expérience de la ville apportent-ils un éclairage à la lecture d’œuvres littéraires, une contribution à la géographie ? Utile à l’analyse, la carte permet de cerner la portée géographique du texte, en confirmant ou infirmant les intuitions de lecture. Les blancs du Marseille de Total Khéops sont révélés par la mise en carte du récit des parcours, quand le texte donne l’impression d’une pratique citadine intense, d’un territoire étendu. La carte dissipe ainsi l’illusion géographique que crée l’abondance des toponymes, ou, à l’inverse, ce qui semble n’être qu’une liste de toponymes prend une cohérence géographique (les descriptions du site de Marseille) et narrative (le voyage vers la ville) par la carte. Mais lorsque l’on cartographie le récit d’un parcours, qu’il soit fictionnel ou factuel, ce que l’on dessine est la trace linéaire du mouvement, non pas l’expérience de l’espace, la modalité du cheminement du promeneur, de ses pas et de sa pensée. Les directions du parcours, les éléments perçus qui manifestent la « lisibilité » de la ville sont figurables. Comment traduire visuellement les sensations, les émotions, les réflexions qui naissent dans le parcours ? Les schémas, on l’a vu, semblent efficaces à traduire les compétences spatiales du citadin de Total Khéops. Mais l’application de catégories de l’analyse géographique à une situation ordinaire de compréhension de l’espace soulève une difficulté majeure. Le personnage du roman d’Izzo, comme tout citadin ordinaire, interprète la ville au gré de ses intérêts, patrimoniaux ou sociaux ou paysagers, selon le quartier qu’il regarde. L’usage d’une forme de modélisation graphique permettant de visualiser un raisonnement spatial et de le discuter est-il pertinent pour représenter l’interprétation intuitive d’un citadin ordinaire ? Et puisque l’expérience de l’espace, dans la pratique ordinaire qu’on en a, ne s’inscrit pas dans le seul registre subjectif ni dans le seul registre objectif, il faut sans doute se détourner d’une cartographie « classique » pour espérer cartographier la spatialité, qu’elle soit factuelle ou fictionnelle. S’en détourner, en partie du moins : l’enrichir en assimilant des propositions des cartes affectives ou des cartes d’imaginaires32, plus généralement des cartes artistiques, comme celles de Mathias Poisson qui « décrivent ce [qu’il a] vécu » et visent à traduire graphiquement ses émotions (ou celles d’un collectif) lors de parcours urbains (Poisson, 2010-2011) ; conserver le principe d’un langage conventionnel permettant, sinon une lecture univoque de la carte dont on sait qu’elle est illusoire, du moins la production d’une image plus lisible que dans les Emotion Map[s] de Christian Nold33.

Bibliographie

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Notes   [ + ]

1. La géo-critique est menée ici dans la perspective d’une réflexion sur la géographie, non pas dans la perspective d’une littérature comparée à la façon de Bertrand Westphal (La géocritique. Réel, fiction, espace, Paris : Minuit, 2007). Pour une mise au point sur une position de lecture géographique de la littérature (en particulier, sur la richesse de la littérature pour éclairer ce qu’est l’expérience de l’espace, dès lors qu’on cesse d’assimiler le fictionnel au fictif ; sur l’efficacité de l’écrivain, attentif au monde et au langage, pour explorer les ressorts et les modalités de la spatialité ; sur le dispositif cognitif que constitue une fiction, qui est une construction représentant, non pas la réalité d’une expérience, mais une simulation qui la rend intelligible), hors du cadre de cette réflexion sur la cartographie littéraire, se reporter à Muriel Rosemberg, 2012 (ch. 3 et 4).
2. Izzo J.-C., Total Khéops, Gallimard, 1995. Les indications de pages notées entre parenthèses renvoient à cette édition.
3. On désigne de cette façon approximative la sémiologie cartographique en usage chez nombre de géographes depuis les années 1960-1970 et que déconstruit la cartographie critique contemporaine.
4. Dans ce récit homodiégétique (dont le narrateur est aussi le héros), il est presque formel d’établir une distance entre le point de vue de l’écrivain et celui de son personnage.
5. Quatre des cartes présentées dans cet article ont déjà fait l’objet d’une publication (Robic, Rosemberg, 2016, ch. 3).
6. Le roman lui est dédié, comme l’indique la note de l’auteur en avant-propos : « Seule la ville est bien réelle », à laquelle répondent en écho les derniers mots du texte : « Une ville selon nos cœurs ».
7. La fusillade finale dans une bastide isolée, le quadrillage policier du quartier de l’Opéra, ou encore les deux scènes de fuite et de piège qui se déroulent dans le quartier du Panier.
8. Ces espaces sont parcourus par le héros et redoublés par la mise en relation de textes littéraires qui eux-mêmes évoquent le voyage (p. 31, p. 52-53, p. 77-83, par exemple).
9. Image conforme au roman noir (les rivalités au sein de la pègre marseillaise forment l’arrière-plan du récit de l’enquête que mène le héros de Total Khéops) et à une représentation médiatique de la ville.
10. Par la référence à son art de vivre, sa movida, son identité cosmopolite. Voir Peraldi et Samson, 2005.
11. Contre le projet EuroMéditerranée présenté par le héros comme un avenir sacrilège niant l’identité portuaire de la ville (« un nouveau Marseille en bord de mer », p. 46).
12. « Il est maintenant urgent de décentraliser le sens et les images, la parole et les porte-paroles » : ces propos sont extraits d’une lettre publiée par des intellectuels marseillais qui expriment leur indignation face aux clichés disqualifiant la ville et s’attribuent la légitimité du discours sur la ville (Lettre ouverte parue dans Le Monde des 1 et 2 avril 1990 à l’initiative d’un collectif formé de René Allio, Gilbert Collard, Jean-Paul de Gaudemar, Marcel Maréchal et Jean Viard) in Peraldi et Samson, 2005.
13. Une séquence est à la fois une journée d’enquête et un parcours dans la ville, autrement dit un moment du récit présentant une autonomie et un ensemble de plans sur la ville formant un tout. Chaque séquence débute ou s’achève dans l’un des deux pôles de la ville romanesque, le Panier ou les Goudes, à l’exception de la séquence 3, centrée sur la découverte de la ville nocturne.
14. Si l’enquête est le motif du parcours, le mobile est le plaisir de parcourir la ville : « l’envie d’être là », « mon itinéraire préféré ».
15. Par description, il faut entendre une séquence organisée autour d’un référent non chronologique. On a ainsi considéré comme descriptifs de la ville l’énoncé précis d’un parcours par la désignation des rues, les évocations paysagères et l’expression d’un jugement socio-spatial, parfois plus social que spatial. L’ensemble de ces notations descriptives, brèves le plus souvent, équivalent, en nombre de lignes, à deux chapitres du livre (sur les quinze que compte le roman).
16. On sait que l’anti-monde utilise les mêmes lieux que le monde (Brunet R., « Le déchiffrement du monde », Géographie Universelle, « Mondes nouveaux », vol. 1, Hachette-Reclus, 1990, p. 189).
17. La route qui mène à la calanque des Goudes (p. 50), celle qui longe le port (p. 183), par exemple.
18. On y retrouverait la vision fataliste conforme au misérabilisme qui caractériserait le néo-polar. Voir Mouvements n°15-16.
19. Décrit comme quartier misérable mais qui assurait l’intégration des migrants par un réseau de solidarité (p. 21, p. 50, p. 165).
20. Quelques toponymes-repères ont néanmoins été ajoutés, dans le but de permettre à un lecteur ne connaissant pas Marseille de suivre le personnage dans la ville.
21. Observons que la géopoétique, malgré sa subversion affirmée des conventions cartographiques, les respecte en ce qui concerne le tracé des contours du site (Bouvet, 2008, p. 28-29).
22. Ancien quartier de l’arsenal.
23. Même si les mots exacts du texte sont « frontière implicite », les pages évoquant la Canebière désignent nettement une frontière sociale.
24. Selon M. Roncayolo (1990, p. 262), « la Canebière perd son rôle de frontière et de ligne de contact » par la diffusion sur sa frange sud du peuplement et des activités du quartier Belsunce. Le détective citadin de Total Khéops exprime à sa façon cette dynamique lorsqu’il situe la présence des clivages sociaux place Félix-Baret, « avant-poste des quartiers bourgeois » (p. 268).
25. Voir en particulier la description du port de la Joliette (p. 45-46) et celle de la Charité (p. 120).
26. Le titre donné au schéma Un pont entre Orient et Occident est repris d’un personnage secondaire du roman qui, par l’écriture et la musique « jette des ponts entre Orient et Occident » (p. 77).
27. Par cette mise en équivalence, on veut souligner que l’expérience paysagère est une relation médiale entre un sujet et le milieu qui met en jeu tous les sens, comme l’ambiance – ou Stimmung – caractérise à la fois le milieu perçu et le sujet qui perçoit.
28. Elles se juxtaposent à l’expérience, elles ne la nourrissent pas ni ne la transfigurent, à la différence d’autres récits.
29. La brièveté des notations descriptives dans ce roman, même si leur nombre important a été souligné, relativement au genre policier, n’exigeait pas, dans le cadre de cette étude, de recourir à un logiciel d’analyse textuelle.
30. Marseille ne serait « qu’une superbe calanque » (Viard, 1995, p. 22).
31. C’est-à-dire l’expérience de l’espace, du temps et d’autrui, qui constitue le paysage selon Michel Collot (2011).
32. Les cartes affectives sont définies comme « le fruit d’une expérience vécue du territoire » et elles en « assument une vision partielle et située ». Les cartes d’imaginaires cherchent à mettre au jour les réalités territoriales imaginaires « qui se déposent sur les récits, dans l’histoire, dans les conversations » selon les auteurs de la Plateforme Art & Géo de Cartes Sensibles (http://polau.org/pacs).
33. Cartes reproduites dans Les Carnets du paysage n°20, « Cartographies », Arles : Actes Sud/ENSP, 2010-2011, p. 74 et 81.

    Les auteur.es :

    Muriel Rosemberg

    Géographie-Cités UMR 8504, Paris

    Florence Troin

    Citeres UMR 7324 Tours

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