DemoMed – une cartographie interactive des populations en Méditerranée

- février 2018


Lien vers l’application

Pour comprendre les interactions démographiques, sociales et familiales en Méditerranée dans une perspective comparative et à des niveaux infranationaux, les données empiriques sur lesquelles s’appuient les analyses sociologiques sont soumises à plusieurs exigences. Elles doivent être non seulement fines et de qualité, mais souvent spatialisées et datées afin de suivre et comprendre les évolutions temporelles et les dynamiques en cours dans cet espace géographique. À ce jour, aucun observatoire ou laboratoire n’est dédié à l’étude des questions de populations en Méditerranée au sens large, aucun outil ne permet de produire des données sociodémographiques à visée comparative dans le temps et dans l’espace géographique méditerranéen.

C’est pour ces raisons que l’Observatoire démographique de la Méditerranée (DemoMed) a vu le jour en 2010 en s’appuyant sur un réseau international de chercheurs (http://demomed.org). Le défi principal de ce projet est de dépasser le cloisonnement disciplinaire des études sur les populations, notamment en Méditerranée, par la mise en œuvre d’une collaboration internationale permettant d’étudier de façon intégrée les enjeux sociaux et démographiques des pays méditerranéens.

Un des objectifs de l’Observatoire démographique de la Méditerranée était la mise en place d’une base de données spatialisées orientée sur l’étude des populations des pays méditerranéens. Celle-ci vise à rendre accessible des données généralement éparses (distribuées par les instituts nationaux de statistiques ou d’autres organisations), souvent disparates (pas d’harmonisation internationale des variables) et pas toujours facilement accessibles (les instituts nationaux publient dans leur(s) langue(s) nationale(s) parfois en anglais, sur des sites dont les structures ne sont pas toujours évidentes). L’enjeu est, en outre, de restituer ces données pour un public allant de la société civile (citoyens, journalistes, décideurs) aux experts démographes ou géographes. La structure de la base de données doit donc permettre une grande souplesse pour intégrer à la fois la grande variété de données et de sources, et une suffisante rigidité pour satisfaire aux exigences disciplinaires des démographes et géographes. En outre, la question de la pérennité et de l’évolutivité des données, mais aussi de l’interface, a été au cœur de notre réflexion. Nous avons donc développé un prototype original, construit en partenariat entre avec la société informatique GeoFit, située à Nantes.

Il s’agit d’une application unique qui a été construite. Elle permet en effet d’interroger la base de données via une interface web pour visualiser les données sous différentes formes : des tableaux classiques ou des graphiques (diagrammes, pyramide des âges, etc.), mais également à travers une interface cartographique interactive (cf. figures 1, 2 et 3). Le projet a bénéficié de l’expérience accumulée par ses créateurs depuis plus de 15 années dans différents programmes de recherche qui ont réfléchi et expérimenté les représentations cartographiques numériques (Oliveau, 2017).

Figure 1. L’interface cartographique de DemoMed.

Figure 1. L’interface cartographique de DemoMed.

Figure 2. Interactivité entre la carte et les graphiques.

Figure 2. Interactivité entre la carte et les graphiques.

Figure 3. Effectifs de population : représentation en cercles proportionnels et pyramide des âges.

Figure 3. Effectifs de population : représentation en cercles proportionnels et pyramide des âges.

Cette interface cartographique interactive repose sur un moteur ESRI qui a été adapté pour nos besoins. Ces adaptations comprennent aussi quelques innovations qui visent à faciliter l’exploration des données et des cartes.

L’interface ainsi développée propose classiquement au visiteur de sélectionner la donnée de son choix en fonction de l’année qu’il souhaite. L’utilisateur peut ensuite sélectionner l’étendue de sa cartographie : pays particulier, regroupements régionaux ou ensemble de l’aire méditerranéenne. Des échelles spécifiques ont aussi été préparées pour faciliter la navigation, comme le Maghreb, le territoire de l’Ex-Yougoslavie, etc. L’internaute peut ensuite choisir le niveau administratif représenté, depuis l’État jusqu’aux divisions les plus fines disponibles dans la base de données.

La base a été conçue pour accueillir tous les niveaux administratifs existants, mais pourra évoluer pour suivre la création de nouveaux niveaux. Les niveaux administratifs étant hétérogènes d’un pays à l’autre, nous avons conçu des niveaux harmonisés, qui correspondent à un compromis entre espace et population des différentes entités administratives (voir Doignon et Oliveau, 2015). En outre, lorsque les niveaux administratifs évoluent dans le temps (comme les régions françaises), la base de données permet de proposer les maillages anciens et nouveaux (à condition que les données soient disponibles).

Deux innovations méritent d’être soulignées.

  • La première concerne la catégorisation automatique des variables pour la cartographie. Les données sont ainsi typées au moment de leur saisie, ce qui force l’interface à respecter la sémiologie graphique1, comme le recours aux cercles proportionnels pour représenter des effectifs2.
  • La seconde concerne la redéfinition « à la volée » de la discrétisation cartographique pour ne prendre en compte que les objets présentés à l’écran. Cela permet au lecteur d’avoir une analyse plus fine des paysages démographiques, en alternant prise en compte des territoires dans leur contexte global et étude de leurs différentiations spatiales locales (cf. figure 4).
Figure 4. Rediscrétisation « à la volée » entre ensemble des territoires étudiés et territoires visibles.

Figure 4. Rediscrétisation « à la volée » entre ensemble des territoires étudiés et territoires visibles.

Les choix cartographiques sont imposés à l’utilisateur et ne peuvent déroger à la sémiologie graphique. Par ailleurs, nous avons choisi d’utiliser une discrétisation automatique reposant sur la méthode de Jenks. C’est en effet la moins mauvaise solution, puisque l’on ne peut connaître à l’avance la forme de la distribution de la variable utilisée (qui dépend notamment de l’étendue et des niveaux géographiques retenus). Néanmoins, il reste possible de changer la représentation cartographique grâce à un module proposé qui permet de personnaliser la discrétisation, le nombre de classes, les camaïeux de couleur, tout en affichant la distribution de la variable (cf. figure 5).

Figure 5. Module de personnalisation des choix cartographiques.

Figure 5. Module de personnalisation des choix cartographiques.

Enfin, toutes les métadonnées des données ayant servi à constituer la carte sont disponibles et exportables au format pdf via l’entrée Métadonnées (dans la barre en haut à gauche de l’interface). L’utilisateur soucieux de qualité des données et des informations pourra se référer directement aux sources utilisées et aux commentaires que l’équipe de DemoMed aura intégrés (mode de calcul des indicateurs ou bibliographie indicative par exemple).

À une époque où les données sont pléthores, la question de leur qualité revient sur le devant de la scène. Les décideurs politiques, comme la société civile, ont besoin plus que jamais d’expertise, et notamment d’expertise sur les données. L’interface de DemoMed se place dans cette perspective de mise à disposition des résultats de la recherche universitaire au plus grand nombre.

Bibliographie

Béguin M., Pumain D. (1994). La représentation des données géographiques. Statistique et cartographie. Paris :  Armand Colin, coll. « Cursus », 192 p.

Bertin J. (1967). Sémiologie graphique. Les diagrammes, les réseaux, les cartes. Paris : Mouton/Gauthier-Villars.

Doignon Y., Oliveau S. (2015). « Territorial grids in the Mediterranean : space versus population». Bollettino dell’Associazione Italiana di Cartografia, éditions de l’université de Trieste, p. 46-63. En ligne

Oliveau S. (2017). « Le numérique et les SIG pour présenter et représenter la population ». In Cavalie É., Clavert F., Legendre O., Martin D. Expérimenter les humanités numériques. Des outils individuels aux projets collectifs, Les Presses de l’Université de Montréal, p. 145-158. En ligne

Notes   [ + ]

1. La sémiologie graphique est « l’ensemble des règles d’un système graphique de signes pour la transmission d’une information » (Bertin, 1967).
2. On notera au passage que la représentation en cercles proportionnels a posé différents problèmes. Il a fallu adapter le module ESRI afin qu’il calcule des cercles proportionnels en suivant la règle usuelle (voir Béguin, Pumain, 1994). En outre, il a fallu forcer ce module à ne pas dessiner de cercle lorsque les effectifs étaient nuls (ce qui paraît élémentaire pour nous ne l’est pas pour la machine).

    Les auteur.es :

    Sébastien Oliveau

    Laboratoire Méditerranéen de Sociologie LAMES, CNRS-Aix Marseille Université

    Yoann Doignon

    UMR ESPACE CNRS-Aix Marseille Université

    Isabelle Blöss-Widmer

    Département de sociologie, Aix-Marseille Université, Laboratoire Méditerranéen de Sociologie LAMES, CNRS-Aix Marseille Université

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