« Allo la Terre ? » Visualiser la circulation des ressources naturelles dans le monde avec resourcetrade.earth

- juillet 2017


L’extraction et la circulation des ressources naturelles ont connu une augmentation sans précédent au cours des dernières décennies. L’Amérique du Nord et l’Europe restent encore les espaces consommant le plus de ressources. Pour protéger les écosystèmes et la biodiversité, deux tendances récentes peuvent être signalées : d’une part, celle qui vise à remplacer les énergies fossiles par les énergies renouvelables et, d’autre part, la tendance visant à utiliser plus efficacement les matières premières en minimisant les pertes et en les recyclant.

La décision, le 1er juin 2017, du président Donald Trump de retirer les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat témoigne de la fragilité du consensus international sur ces questions. Il s’agit pour Trump, à rebours de la tendance générale, de protéger l’industrie des énergies fossiles et de durcir les conditions d’échanges des ressources sur le marché international.

Dans ce contexte incertain, l’outil en ligne resourcetrade.earth d’interrogation d’une base de données sur le commerce des ressources naturelles est une véritable mine d’information. Proposé par le Royal Institute of International Affairs (Chatham House), cet outil s’appuie sur le contenu de la base de données de l’ONU Comtrade1 qui retrace les échanges internationaux à partir des déclarations d’imports et exports recueillies en douane.

Présentation générale de l’application

L’application propose de consulter et visualiser le commerce, en valeur et en quantité, de plus de 1350 types de ressources naturelles année après année depuis 2000. Sept grandes catégories de produits sont distinguées au sein desquelles il est possible de désagréger la donnée à un niveau très fin : produits de l’agriculture, de la pêche, de la forêt, engrais, matières fossiles, métaux et minéraux.

Par rapport à la source d’origine, un travail de simplification de la donnée a été effectué. De plus, puisque le site se concentre sur les ressources naturelles, l’ensemble des données relatives au commerce des biens manufacturés n’a pas été intégré. Dans le cas où les données semblaient inexactes, il est arrivé qu’elles soient vérifiées à l’aide d’une source externe ou retirées.

En plus du travail de nettoyage des données d’origine issues de la base Comtrade, des données complémentaires sont accessibles, concernant les impacts environnementaux des échanges et de l’extraction des ressources ainsi que le profil socio-économique de chaque pays.

L’émission de dioxyde de carbone engendrée par l’échange est estimée à l’aide d’une méthode dite « cradle to gate », du berceau à la porte, comptabilisant la quantité de CO2 produit par la quantité de produits générés depuis l’étape de l’extraction jusqu’à son arrivée à l’usine (sans inclure la phase d’arrivée au consommateur et le recyclage éventuel du produit).

L’exemple de l’amidon de blé

Prenons l’exemple de l’amidon de blé qui est une des sous-catégories disponibles en suivant le chemin « agricultural products », « cereals», « wheat », et « wheat, starch » depuis l’onglet « Commodity ». Ce produit est un incontournable de la chimie biosourcée qui est actuellement en plein développement. Il peut entrer dans la composition du papier, du carton ou encore des bioplastiques.

Figure 1. Exemple des échanges mondiaux d’amidon de blé.

Figure 1. Exemple des échanges mondiaux d’amidon de blé.

En sélectionnant ce produit, on obtient une carte de flux dont il est possible de faire varier l’année. Un bouton, en haut à gauche de la carte, permet de passer de la carte des flux en valeur (dollars américains) à la carte des flux en quantité.

L’épaisseur des liens dépend de l’importance des montants échangés qui est indiquée dans le légende tandis qu’un petit diagramme, en haut à gauche de la carte, signale la part que représente le commerce de ce sous-produit dans l’ensemble mondial du commerce du blé : en l’occurrence 0,5%.

D’un point de vue esthétique, le résultat est très réussi. Le sens des flèches est donné à la fois par la variation de couleur (violet à l’origine, bleu en destination) et par le dessin d’une fine flèche qu’on voit facilement apparaître lorsque l’on fait glisser la souris sur le flux qui nous intéresse. Cette option est tout particulièrement appréciée pour les zones denses comme ici l’espace européen puisqu’elle permet de surligner l’un après l’autre chacun des flux et d’obtenir des informations détaillées.

En effet, lorsque la souris s’arrête sur un flux en particulier, un encart apparaît qui précise la part que représente ce flux pour chacun des pays concernés. Ainsi, l’amidon de blé envoyé par le Canada vers les États-Unis représente 76% des exports d’amidon de blé réalisés par le Canada et 57% des imports d’amidon de blé réalisés par les États-Unis. La valeur précise du flux apparaît ainsi que, lorsqu’il a été mesuré, son impact carbone.

Il est également possible de se centrer sur un seul pays et alors de visualiser l’essentiel des échanges dans lesquels il a été impliqué, en tant qu’exportateur ou importateur. Pour chaque produit, seul les flux les plus importants apparaissent sur la carte. Le nombre de flux représentés sur le nombre de flux totaux est indiqué en bas à droite de la carte.

Dans le cas de l’amidon de blé, ce sont donc 57 flux sur 887 qui sont représentés, soit seulement 6% de l’ensemble. Compte tenu qu’une carte de flux devient très vite illisible lorsqu’elle est trop chargée, ce filtrage automatique des liens est plutôt positif. On peut toutefois regretter que l’utilisateur n’ait pas la possibilité de régler lui-même le seuil. Heureusement, les données complètes peuvent être téléchargées par un simple clic au format Excel.

Figure 2. Informations complémentaires présentées sous la carte interactive.

Figure 2. Informations complémentaires présentées sous la carte interactive.

Sous la carte apparaissent plusieurs informations complémentaires. En plus d’une courbe d’évolution en valeur ou en quantité du produit échangé par an depuis 2000, qui apporte la dimension temporelle, on trouve le détail des cinq premiers flux mondiaux et des cinq flux ayant le plus augmenté et diminué entre 2010 et 2015. On observe ainsi une croissance significative de la quantité d’amidon de blé échangée dans le monde après 2010. Les onglets « exporters » et « importers » permettent d’accéder à l’information par principaux pays importateurs et exportateurs. Enfin, l’onglet « footprints » donne des renseignements sur l’impact environnemental associé au commerce du produit considéré.

Arborescence du site et détails techniques

Le site a été conçu pour Chatham House par l’agence de développement Applied Works localisée à Londres. La navigation est très simple avec trois grandes pages : « Data », « Stories » et « About ».

La page « Data » permet d’accéder à l’interface d’interrogation de la base de données que nous venons d’explorer à travers l’exemple de l’amidon de blé.

La page « Stories » comprend pour l’instant trois analyses écrites par des experts de la question du commerce des ressources naturelles. Ces analyses sont ponctuées de visualisations dont certaines interactives (des diagrammes en chords). Le contenu de ces analyses enrichit le site en démontrant tout l’intérêt, pour la compréhension du contexte mondial et contemporain, de ces données rendues accessibles aux journalistes, décideurs et scientifiques.

Enfin la page « About », donne de très nombreux renseignements sur la méthodologie suivie par les experts de Chatham House pour traiter les données. Des liens sont fournis pour aller vers d’autres sources et vers les références utilisées, notamment pour les regroupements de pays puisqu’il est possible de consulter les données par grands groupes de pays.

La fabrication du site par Applied Works représente une belle réussite, à la fois du point de vue technique, avec le traitement de plus de 20 millions de points de données, mais aussi de leur présentation de manière fluide et ergonomique sur la page2.

Plutôt que d’essayer de présenter beaucoup d’informations en même temps, ce qui représente toujours un défi dans le cas de données spatiales de flux3, le choix a été fait d’enquêter auprès des utilisateurs pour relever les types d’information les plus recherchés et les explorations de données les plus utiles. Ainsi, c’est un principe de filtrage progressif qui a été retenu, en présentant d’abord à l’utilisateur une sélection des informations les plus importantes, tout en offrant la possibilité de « creuser » (« drill down ») dans la masse de données selon plusieurs directions.

Techniquement, l’utilisation de graphismes vectoriels selon les normes les plus récentes (SVG en HTML5) explique la rapidité et la qualité de l’affichage, ainsi que la compatibilité directe avec les différents navigateurs.

Conclusion

Comparé au site Globe of Economic Complexity, précédemment chroniqué par Françoise Bahoken et Laurent Jégou (http://mappemonde-archive.mgm.fr/num45/internet/int15101.html), qui s’appuyait sur la même source de données (ONU Comtrade), le site resourcetrade.earth donne l’impression d’une exceptionnelle simplicité.

Dans les deux cas, la quantité de données à représenter est très importante mais dans un cas, les choix sémiologiques (globe en trois dimensions, semis de points) ne font que renforcer l’impression de complexité alors que dans le présent site (filtrage des liens, carte de flux), l’utilisateur est en mesure d’obtenir des informations lisibles et de se forger une opinion en s’appuyant sur les analyses et les éclairages complémentaires mis à disposition (socio-économie, environnement).

Ce nouveau site réussit la prouesse de mettre à notre disposition des données «complexes» à travers une interface simple et élégante. Faisons le vœu que ce type de réalisations cesse d’être l’exception pour devenir la norme dans les années à venir.

Référence

Chatham House (2017). resourcetrade.earth. http://resourcetrade.earth/

Notes   [ + ]

1. https://comtrade.un.org/
2. Le développement est décrit par les créateurs : http://appliedworks.co.uk/work/state-of-the-worlds-resources/
3. Cf. F. Bahoken (2016). « L’approche cartographique de la décomposition des matrices de flux ». M@ppemonde, n°116.

    L'auteur.e :

    Marion Maisonobe

    Chercheuse en postdoctorat au CNRS, Fédération de Recherche INCREASE, Poitiers. Chercheuse associée à l'UMR LISST, Toulouse